samedi 8 septembre 2012

Vie secrète

Elle m'a donné cet été Vie secrète, de Pascal Quignard. Qui lui avait été donnée par un couple d'amis de ses parents. Je ne sais pour quelle raison. L'avaient-ils lu ? Voulaient-ils le faire partager ? Ou s'en débarrasser ? Étrange chaîne de dons. Il est donc arrivé jusqu'à moi et il me semblait que je ne pouvais l'ignorer. S'il avait fait ce long chemin, ce n'était pas pour des prunes. Une conviction tout à fait contestable, je le sais bien, mais je veux continuer à croire que ce qui vous arrive ainsi par hasard, de cette manière alluvionnaire, n'est pas entièrement dû au hasard. Donc j'ai commencé à le lire, je me suis interrompu plusieurs fois, je le reprends par saccades, c'est un livre sur l'amour, le silence, la solitude, c'est souvent ardu, certains passages demeurent des énigmes, découragent mon intelligence, parfois c'est lumineux et c'est toujours splendidement écrit.

Le chapitre VIII s'intitule Le secret. On peut y lire ceci :

     En aucun temps et avec personne il ne m'a été possible de surmonter cet écart de solitude qui affecte d'entrée de jeu tout ce que j'éprouve.
     Qui le transporte à une part secrète où elle se dépose.
     Je ne suis jamais parvenu à désencoigner cette crevasse de silence  où tout tombe d'abord en moi.
     Or l'amour, c'est cela : la vie secrète, la vie séparée et sacrée, la vie à l'écart de la société. La vie à l'écart de la famille et de la société parce qu'elle rappelle la vie avant la famille et avant la société, avant le jour, avant le langage. Vie vivipare, dans l'ombre, sans voix, ignorant même la naissance.
L'ordinateur souligne d'un trait ondulé rouge ce verbe : désencoigner. Inconnu au bataillon. J'en devine le sens mais j'aimerais tout de même en trouver une définition. Je cherche sur Google : huit résultats seulement, dont quatre reprennent la phrase de Quignard. Sinon je le retrouve dans le texte d'un universitaire dont par charité je tairai ici le nom :

Nos ombres passent et disparaissent. Tout secret est plus ancien que l’être et c’est pourquoi, comme les animaux, nous cherchons une cachette lorsque nous pressentons la mort. La mort réinvente ainsi le secret, le tombeau, la solitude. Et nous ne parvenons jamais à désencoigner cette crevasse de silence où tout, d’abord, est tombé en nous.
Aucune mention de Quignard dont il décalque pourtant sans vergogne l'écriture. Je ne suis donc pas plus avancé. Mais ce n'est pas le seul plagiaire : un psychanalyste, dont je tairai..., s'est approprié lui aussi la belle métaphore de la crevasse, et bien entendu en ne soufflant mot de la source littéraire irriguant ce marécage, même si le nom de Pascal Quignard est cité un peu plus loin (mais sans appel de notes sur Vie secrète) :

      C'est à peu de choses près au débouché des lèvres de sa mère qu'il se sut voué à une terreur qui ne pourrait être réduite, qu'il lui faudrait opposer à la famille sa solitude. Sa mère voulait sa peau. Il le sut dès qu'elle lui eut ouvert son sexe en lui disant que ce n'était rien, qu'il n'avait rien vu, tout en sachant qu'elle lui donnait à voir cette crevasse de silence d'où elle espérait qu'il ne parviendrait jamais à se désencoigner.

Finalement, c'est un simple  recueil de dictées qui me donne la solution, à travers un extrait de Tempo di Roma, d'Alexis Curvers.  

Désencoigner : néologisme composé à partir de encoignure, "angle intérieur formé par deux murs, par un mur et une porte, etc.", lui même formé à partir de coin (Lexis).
Bon ben voilà, je voulais juste rendre hommage à un grand auteur par une petite citation et nous nous retrouvons à contempler de beaux esprits pris la pogne dans le quignardien bocal de confitures. Ah, et l'on se plaint de ces fichus étudiants qui ne cessent de copier-coller sur internet !

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