dimanche 2 novembre 2014

De Bosc au Paradis

Ici à nouveau pour noter deux ou trois choses.
Un, Adrien Bosc, dont j'ai chroniqué le 1er septembre le fascinant roman Constellation a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française. Pour un premier roman, à vingt-huit ans, c'est une sorte de triomphe.
Très heureux, le jeune écrivain a déclaré : "Constellation est un livre très important pour moi. Il sonde le destin, les coïncidences qui font qu'on prend tel avion plutôt que tel autre".
Et aussi : "Ce roman questionne le hasard, la synchronicité des dates et des chiffres. C'est mon obsession."
C'est aussi la mienne, on l'aura compris.
C'est complètement stupide, mais ce prix c'est un peu comme si je l'avais reçu moi-même, j'en suis bêtement heureux moi aussi.
Adrien Bosc confie également qu'il est "d'autant plus ému de recevoir le prix de l'Académie française " que son livre préféré est "Le journal d'un curé de campagne" de Bernanos qui l'avait reçu en 1936. Le démon de l'analogie ne le quitte pas, c'est évident.
Pas plus qu'il ne me quitte moi-même.
Aujourd'hui, c'était le jour de la brocante des Marins, premier dimanche du mois. Sous le soleil encore, pour quelques heures. Mais ce matin, les bouquinistes n'étaient pas au rendez-vous. C'était jour de disette, ce qui n'était pas plus mal en un sens, compte tenu de la horde de volumes qui piaffe dans toutes les pièces de la maison.
Je dénichai tout de même, sur des stands non spécialisés, un roman de Raymonde Vincent, La couronne des innocents, et un Folio de Vassilis Alexakis, Après J.-C. De cet écrivain grec, qui écrit en français, j'avais beaucoup aimé en son temps La langue maternelle.
Or, cet ouvrage, paru en 2007, a reçu lui aussi cette année-là le Grand Prix du roman de l'Académie française.
Ceci dit, j'avais annoncé que je reviendrai sur les traces du roman, chapitre après chapitre, et, de fait, je ne suis pas allé bien loin, faute de temps disponible, mais j'espère bien tenir cette perspective un jour ou l'autre.

Poupée - Brocante des Marins

Deux, j'ai vu hier à l'Apollo, Paradis, le dernier film d'Alain Cavalier. Je n'ai rien lu sur ce film et j'en parlerai donc de mon pur point de vue de spectateur.
Je le dis d'emblée : ce fut pour moi un enchantement, une leçon de liberté et de tranquille audace. De quoi est-il question ? De si peu de chose, dirait-on. Tout d'abord d'un paon, d'un petit paon, qui meurt, qu'on dépose au pied d'un arbre, qui disparaît, sans doute enlevé par d'autres bêtes. On lui érige un tombeau, un mémorial, une pierre retenue sur l'arbre par trois clous entrecroisés qu'on aura essayé de dérouiller en les plongeant dans une canette de coca.
Au fil des saisons, on ne cessera de revenir sur cet humble monument, dissimulé sous la neige, ou ravivé de peinture dorée par le petit-fils (?) de Cavalier.
L'enfance est partout présente, avec les plans nombreux sur les enfants, leurs visages et leurs bricolages. L'humanité et les humanités, contes et comptines, aventure christique et Odyssée, qui se mêlent et s'entremêlent, figurés par des robots et des oies, babioles, peluches, jouets, pastèque taillée en radeau, fleurs, branchages, objets s'animant sous la caméra de Cavalier, magnifiés par une lumière qui en exalte le grain et la texture. La beauté simple éclate à chaque plan, soulignée par la voix feutrée du réalisateur, la douce complicité avec les enfants, les jeunes filles.
Une heure dix, une durée inhabituelle pour un film, une heure dix d'oubli justement des habitudes du cinéma, instaurant un temps comme suspendu où le bonheur affleure, alors même que les histoires qui sont contées, qui sont les nôtres, qui sont les grands récits constituants de notre culture, ne parlent que de souffrance, d'exil et de douleur. Une heure dix d'attention au minuscule, au fragile, à l'innocence, une heure dix dans ce qu'on peut nommer peut-être le Paradis.

Ernest Nivet - Main (détail)


Aucun commentaire: