samedi 21 janvier 2017

# 18/313 - Sept pi douze

Samedi 14 janvier, Violette a douze ans. Pas rien douze ans. J'ai envie de dire, c'est un nombre rond, mais on réserve ça d'habitude aux multiples de 10, alors que douze mérite bien plus d'être appelé un nombre rond, étant celui de la somme des heures du cadran. Douze indique un cycle terminé, le départ d'un autre, un midi et un zénith. Il reste qu'avoir un anniversaire si près de Noël, on le sait bien, n'est guère enviable question cadeaux. Elle en a eu un, un gros, attention il faut s'entendre sur gros, relativement à nos moyens disons. Un cadeau qui devait faire Noël et l'anniversaire. Bon, on dit ça, et puis le jour venu, on a envie quand même d'offrir un petit quelque chose, une bricole. Donc je vais chercher la bricole, un livre cette fois (le gros n'était pas un livre), du genre qu'elle ne va pas dévorer en une nuit, comme elle en est capable. Je me rends donc à Arcanes, de bon matin, enfin après dix heures, ça n'ouvre qu'à dix heures. Je trouve la chose et puis, passant devant le présentoir à nouveautés, où il est bien sûr radicalement impossible que je ne risque pas un œil, que vois-je ? La couverture bleue d'un roman édité au Mercure de France, d'un auteur que je connais absolument pas, Anne Serre, et dont le titre ne peut que m'émoustiller : Voyage avec Vila-Matas.


La quatrième de couverture ne me laisse pas le choix, il faut que je lise ce roman, et vite :

"Dans le train qui l’emmène vers un festival littéraire, Anne Serre a emporté un livre d’Enrique Vila-Matas. Soudain, l’auteur espagnol est là, assis à côté d’elle. Heureuse coïncidence ou fruit de son imagination? Elle entame avec lui une conversation qu’on dirait commencée depuis longtemps… Plus tard, ils seront voisins de chambre dans un hôtel où l’on croisera aussi Anna Magnani… Tout cela est-il bien réel?
Dans Voyage avec Vila-Matas, Anne Serre prend un malin plaisir à «manipuler» son lecteur, sous les auspices d’un maître en la matière. Avec ce texte jubilatoire, elle nous parle du pouvoir de la littérature et livre aussi un autoportrait singulier."
L'après-midi, je travaille à l'écriture de la note précédente, et il apparaît évident, là encore, qu'il me faut ce livre de Yann Martel, L'Histoire de Pi. Je vais le chercher à la médiathèque d'autant plus que j'avais déjà prévu d'y aller pour assister dans l'auditorium à la projection du documentaire de Pascal Guilly sur Ernest Nivet.


Or, en allant vérifier la disponibilité du livre de Yann Martel sur un des ordinateurs de la médiathèque, je tombe sur cette recherche d'ouvrage, qui me fait sourire car j'y vois l'un de ces nombreux clins d'oeil que l'attracteur étrange distille dans toute exploration de ses ramifications.


Ce roman de Tristan Garcia, sobrement titré 7, s'inscrit bien sûr à merveille dans le projet de l'Heptalmanach. Je ne l'ai pas lu, et ne pensais pas du tout à lui jusque là, mais peut-être qu'un jour, je me pencherai sur ses pages.

Revenu de la projection (sur laquelle je ne m'attarderai pas aujourd'hui, mais je reviendrai sans doute sur le cher Ernest un jour ou l'autre), je me jette dans le livre d'Anne Serre (dont je regrettai un peu le nom en forme de palindromes inachevés - un Anna Serres eût été parfait, mais trop sans doute), et je découvre un véritable écrivain, bien inscrit dans la fibre tout à la fois joyeuse et mélancolique, humoristique et grave qui caractérise l'art du catalan. Jeanne Ferney, dans sa critique de La Croix, écrit très justement :

"Au sommet du panthéon littéraire d’Anne Serre, il y eut longtemps Kafka, Thomas Bernhard, Thomas Hardy, Robert Walser. Après s’être laissée enchanter par leurs textes, plaçant nombre de ses romans sous leur égide, elle s’en est progressivement détachée, comme on se sépare d’un amant devenu trop encombrant. Mais l’addiction à la littérature est un mal qu’elle a renoncé à soigner. Vila-Matas est devenu sa nouvelle obsession, qui lui inspire cette variation en trois actes, suspendue entre rêve et réalité.La voici donc qui marche gaiement dans les pas du maître du trucage et de la manipulation littéraires, mêlant ses mots à ceux d’écrivains imaginaires dont elle sème, l’air de rien, de fausses citations – elles n’en sonnent pas moins justes."
Ce n'est que ce matin que j'ai réalisé qu'un des passages du livre résonnait étrangement et bellement avec l'entame même de cette note, à savoir l'anniversaire des douze ans de ma fille :

"De mon côté, je suis toujours un peu divisée entre la consultation de livres que j'ai emportés et celle du paysage car après tout le paysage "vaut tout de même le coup d'oeil", comme l'avait dit James Aspert lors d'une conférence à Singall, lui qui ne sortait jamais de chez lui et avait vécu douze ans sans du tout mettre le nez dehors, exactement comme Nathaniel Hawthorne à Salem. Parfois je rêvais à ces douze années d'enfermement d'Aspert et de Hawthorne, vingt-quatre années d'enfermement à eux deux, car le nombre douze comportait pour moi comme le chiffre huit pour Giacinto Scelsi quelque chose de magique et d'asséné par ma destinée. Ma mère était morte lorsque j'avais douze ans, en 1992 j'avais publié mon premier livre, en 2012 j'avais publié le douzième de mes livres qui m'avait valu un franc succès, j'avais quitté Guillaume le grand amour de ma jeunesse un douze décembre et rencontré Thomas un douze, etc. J'avais sûrement oublié un tas de douze dans mon comptage, mais il apparaissait clairement que ce douze jouait un rôle bizarre et insistant dans mon existence." [C'est moi qui souligne]

Sept Pie XII

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