lundi 20 février 2017

# 43/313 - Le rêveur lunaire

Pour la huitième fiction 1967, à la date du 19 février, j'ai été amené à évoquer la mort, la veille même de ce jour, de Robert Oppenheimer, le scientifique responsable du plan Manhattan, parfois surnommé "le père de la bombe atomique".  Un demi-siècle s'est donc écoulé depuis sa disparition. Un peu plus tard - j'avais déjà écrit la fiction - je me suis souvenu de cet autre savant physicien, Leo Szilard, dont j'avais parlé dans un article du 3 décembre 2015, Manhattan, de Woody à Leo : c'est la bande dessinée Les rêveurs lunaires (Gallimard/Grasset), d'Edmond Baudoin et Cédric Villani, qui m'avait fait découvrir ce génie méconnu.


Permettez-moi de reprendre ici ce que j'écrivais alors en 2015 :

"Qu'il suffise pour l'instant de signaler qu'il fut le premier humain à concevoir, dès 1933, la possibilité d'une réaction neutronique en chaîne, donc d'une bombe atomique aux possibilités de destruction inouïes, et à comprendre ensuite que le tout nouveau régime nazi était le mieux placé, de par l'avancée de la science de son pays, pour mettre au point cette invention.

C'est ce qui l'amènera en 1939 à demander à Albert Einstein d'adresser une lettre à Franklin Roosevelt, le président américain, pour l'alerter sur le danger et le convaincre d’accélérer la recherche expérimentale sur la réaction en chaîne en Amérique. Lettre signée Einstein mais c'est lui, Léo Szilard, qui en a rédigé le brouillon.
Et c’est en 1942, avec le physicien italien Enrico Fermi, dans le cadre du Projet Manhattan visant donc à doter l’Amérique d’une bombe atomique, qu’il parvient à créer la première réaction en chaîne avec un réacteur utilisant du graphite et de l’uranium.
Lui, pacifiste convaincu, qui s'opposera à l'utilisation de cette bombe, qui condamnera l'horreur d'Hiroshima, mais que les militaires, une fois la bombe réalisée, s'empresseront de mettre sur la touche."

Je décidai alors de reprendre la BD pour voir ce qu'elle rapportait de Robert Oppenheimer. Mais, en fait, il y avait encore plus intéressant : la manière dont Leo Szilard avait eu la vision de la réaction en chaîne qui allait conduire à la bombe atomique. C'était en 1933, à Londres, après une conférence du savant Rutherford, où celui-ci, parlant de l'énergie qu'on libère en cassant des noyaux, explique qu'elle est minuscule et que quiconque prétendrait l'exploiter n'était qu'un rêveur lunaire. Leo Szilard, contradicteur-né, relève le défi :

Surprise : voici H.G. Wells qui resurgit, que j'ai évoqué tout récemment. Le parallèle continue à la page suivante :


L'imagination est l'outil indispensable pour réaliser l'impossible. Ce que ne démentirait ni Edgar Poe, ni Hughes Duffau ; ce qu'affirme donc ici en somme le mathématicien Cédric Villani, scénariste de cette bande dessinée. Que H.G. Wells ait puisé son inspiration chez Frederick Soddy n'est pas ici indiqué, mais ceci est de peu d'importance. Parmi les savants de son époque, il avait eu l'intuition de choisir celui qui voyait plus loin que les autres.

Dans sa postface, Cédric Villani n'hésite pas à qualifier Szilard de prophète. Ce que semble confirmer sa notice Wikipedia qui nous apprend par exemple qu'encore "enfant, il aurait prédit la Première Guerre mondiale avec plusieurs années d’avance. Lors de l’apparition des Nazis, il aurait annoncé qu’ils contrôleraient un jour l’Europe entière. En 1934, il aurait prévu les détails de la Seconde Guerre mondiale. Plus tard, il a pris l’habitude de vivre à l’hôtel avec une valise toujours prête. Selon ses dires, « il suffit de prendre le train le bon jour ». En effet, il quitta l’Allemagne pour se rendre à Vienne le jour de l’incendie du Reichstag, pressentant la fin de la démocratie à cette époque."

Leó Szilárd vers 1960 (Wikipedia)
Sur Szilard, on peut consulter les archives en ligne réunies par Gene Dannen. Sur la page d'accueil, on ne s'étonnera pas de trouver une image de  The World Set Free, le roman de H.G. Wells qui anticipe la bombe.

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