mercredi 1 mars 2017

# 51/313 - Abbott et Costello

Louis Francis Cristillo, dit Lou Costello, est né le 6 mars 1906 à Paterson, New Jersey. Et trente ans plus tard, il forme avec Bud Abbott un duo comique célébrissime aux États-Unis, vedette de 36 films entre 1940 et 1956, et pourtant à peu près inconnu en Europe, du moins en France, à l'inverse des Chaplin, Keaton et autres Laurel et Hardy. Costello était le rigolo, Abbott le straight man, celui qui garde toujours son sérieux quelles que soient les circonstances.



Lou Costello apparaît donc dans le Paterson de Jim Jarmusch. Or, c'était la seconde fois que j'apprenais l'existence de la paire burlesque. La première fois, c'était pour Premier contact, le film de science-fiction de Denis Villeneuve. Les deux extraterrestres (les Heptapodes) avec qui l'héroïne avait mission de communiquer avaient été surnommés Abbott et Costello par son collègue physicien. En France, on les connaît (un peu) sous le sobriquet des deux nigauds. Le magazine Time a tout de même jugé qu'un de leurs sketches, Who's on first (vidéo ci-dessus) sur le baseball, était le meilleur sketch du siècle. Il était basé comme bien d'autres sketches sur le quiproquo, ce qui, selon certains, pourrait expliquer le choix de Villeneuve pour qualifier des créatures avec qui on a le plus grand mal à se faire comprendre.

Je ne suis pas le seul à avoir repéré ce lien entre les deux films. Par sérendipité, je suis tombé sur cet article de 1001 ciné Le Mag, Deux par deux, illustré par ce montage :


Caroline Trenteun revient sur le sketch Who's on first, à la question Abbott répond « Who », qui est le nom du joueur, d’où l’incompréhension entre eux deux. Elle signale que ce sketch apparait aussi dans Rain Man où "Raymond (Dustin Hoffman) répète le sketch en boucle pour se déstresser quand il voit son frère (Tom Cruise) toucher ses affaires (en VF à 3’56 ici)."

Dans le bar où Paterson s'arrête chaque soir, le patron a affiché des photos des célébrités de la ville, dont Lou Costello.
Autre apparition du duo avec le cinéma du samedi soir, où Paterson et sa compagne (Golshifteh Farahani) voient Island of Lost Souls (L'Ile du Docteur Moreau, d'après HG Wells). A la séance du samedi suivant  sera projeté Abbott et Costello meet Frankenstein.


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Et puis, hier, je rencontre une troisième fois Abbott et Costello. Dans le premier roman de Trevanian, La sanction (1972). Trevanian, mystérieux auteur qui refusa toute sa vie interviews et promotions, s'abritant derrière plusieurs pseudonymes dont certains étaient des personnages de ses romans. Au vrai, il était Rodney William Whitaker, né en 1931 dans une famille pauvre de Granville, dans l'état de New York, et mort en 2005 à West Country, en Angleterre. Professeur et directeur du département de communications (décidément, la communication) à l'université du Texas à Austin, il quitte le poste dès le succès littéraire arrivé. Il choisira de vivre avec sa famille dans les Pyrénées basques. Ce lien fort avec la montagne est affirmé dans La sanction, roman d'espionnage souvent qualifié de parodique (à tort selon moi) : le héros, Jonathan Hemlock, professeur d'art, mais aussi alpiniste émérite et tueur à gages au service de la CII, doit tuer un des membres de sa cordée (mais il ne sait pas lequel des trois) pendant l'ascension de la face nord de l'Eiger, en Suisse. Le roman est adapté au cinéma en 1975 par Clint Eastwood avec le réalisateur dans le rôle de Jonathan Hemlock.

Mais venons-en à Abbott et Costello : ils apparaissent à la page 72 de la réédition chez Gallmeister, lors d'une conversation du héros avec une belle espionne noire dont il va tomber amoureux. Une audace pas si courante dans la littérature de genre de ce temps-là (d'ailleurs elle s'appelle Jemima, ce qui fait ironiquement référence à Aunt Jemima, l'équivalent américain de l'Oncle Tom, "une femme noire amicale, obséquieusement soumise, ou agissant en protectrice des intérêts des blancs").

Voici l'extrait en question :

"Jemima fronça les sourcils.
- Vous savez quoi ? J'ai l'impression que vous n'êtes pas quelqu'un de gentil.
- La gentillesse est une qualité surestimée. Être gentil, c'est la façon dont un homme fait son chemin dans la société s'il n'a pas l'étoffe d'être dur ou la classe d'être brillant.
- Belle citation. Je pourrai l'utiliser ?
- Oh ! Vous ne vous en ferez sans doute pas faute.
- Ah ah... Johnson à Boswell ?
- James Abbott Mac Neill Whistler à Wilde. Mais ça n'était pas mal trouvé.
- Un gentleman aurait fait comme si j'avais raison. C'est vrai que vous n'êtes pas gentil.
- J'essaierai de rattraper ça en étant d'autres choses. Spirituel ou poétique, peut-être. Ou même terriblement intéressé par vous. Ce qui est d'ailleurs la vérité.
Ses yeux pétillèrent.
- Vous vous moquez de moi.
- J'en conviens. Tout ceci n'est qu'une façade. Je dissimule mon hypersensibilité et ma vulnérabilité sous un masque impénétrable de séducteur urbain.
- Voilà maintenant que vous me montez un numéro à l'intérieur de votre numéro.
- Ça vous fait quel effet de vous retrouver dans un sketch d'Abbott et Costello ?"
Curiosité : dans le dialogue apparaît un autre Abbott, celui que l'on désigne plus communément sous le nom de Whistler, le peintre dont Marcel Proust s'inspirera pour créer son personnage d'Elstir.

Whistler, autoportrait (1872)
Whistler et Wilde, autre duo spirituel, les Abbott et Costello du XIXème.

Philip William May
English, 1864-1903
Oscar Wilde and Whistler, 1894

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