lundi 17 avril 2017

# 91/313 - De la flore magique

Saint Pantaléon, saint "émigré" imposé par Charlemagne, signe l'église de Saint-Plantaire, Ecclesia Sancti Panthaleonis cum Capella de Fer (1212), mais curieusement ne donne pas son nom au village. On ne semble pas le tenir en haute estime, comme en témoigne la légende de la Chapelle du Fer, où on l'a vu incapable de juguler l'épidémie frappant les bestiaux. Autre indice de cette mésestime, le festiaire du village, où n'apparaît que la fête communale de saint Jean et la fête patronale de saint Fiacre. Or ce saint Fiacre n'est autre que le patron des jardiniers, traditionnellement représenté avec  une bêche.

Saint Fiacre - Église saint André, Châteauroux.
Plantaire, Fiacre, l'accent est mis nettement sur le végétal. Par ailleurs, Pantaléon est médecin et sans doute l'a-t-on fait venir pour recouvrir d'antiques usages médicinaux marqués de paganisme. Mais avec quoi soigne-t-on dans ces temps anciens, sinon avec des plantes ?

Le moment est venu de se reporter au précieux ouvrage de Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l'Antiquité (Belin, 2003). Docteur du Muséum national d'Histoire naturelle, l'auteur a ausculté avec patience et rigueur les textes grecs et latins non seulement d'auteurs consacrés comme Dioscoride, Théophraste ou Pline l'Ancien, mais aussi et surtout les vestiges de textes rares dont certains n'avaient même pas été traduits jusqu'à ce jour. Il met ainsi à jour une botanique zodiacale, planétaire, tout un système de correspondances fascinant, qui mérite d'être envisagé maintenant à l'aune de la géographie sacrée.

Au signe du Taureau, deux plantes très différentes sont attribuées par les auteurs des notices astrologiques. Le texte concernant la première, le triphullion, est si court et fragmentaire qu'il n'autorise pas, selon l'auteur, l'identification à une plante plutôt qu'à une autre. Néanmoins sa lecture est éloquente :

« La plante du Taureau est le triphullion. Cueille-la quand le signe domine, c'est-à-dire le Taureau. Elle a les propriétés suivantes : mets son fruit et ses fleurs dans une peau de boeuf qui n'est pas encore né [agennêtos bous : embryon (?) ou animal mort-né]. Porte-la quand tu t'avances vers les rois, les chefs, les archontes et tu seras traité avec de grands égards. Ses feuilles en onction... [la suite du texte manque]. Son suc guérit les yeux et toutes les douleurs oculaires. La racine portée en amulette écarte démons et méchants génies (ageloudai)... [la suite manque] » (Catalogus Codicum Astrologicorum Graecorum, VIII, 2, 159-160)
Son suc guérit les yeux et toutes les douleurs oculaires. Le même pouvoir ophtalmologique (Sainte Foy comme saint Pantaléon ont guéri des aveugles) se retrouve dans la notice beaucoup plus longue et plus précise de la seconde plante du Taureau, le peristereôn, que l'on peut identifier à la verveine :

« (...) on lui attribue des pouvoirs que tu ne peux pas imaginer. En effet, elle met fin en trois jours aux affections oculaires qui semblent désespérées, grâce à la qualité du remède. Pour les ophtalmies, les œdèmes, les gonflements, tous les écoulements d' humeurs, emploie ce collyre : safran : 14 drachmes (...). Les membranes qui se forment sur la cornée (pterugia), les tumeurs, les chalazions sur les paupières et toutes sortes de maux semblables, elle les guérit en un jour. Il n'y a pas lieu de louer une quelconque puissance divine, mais chacun des pouvoirs de la plante. C'est l'expérience qui démontre sa force. » (C.C.A.G., VIII, 3, 141-142)




Guy Ducourthial se demande alors pour quelles raisons les astrologues ont particulièrement insisté sur les vertus de la plante pour soigner les affections oculaires « alors que ni les mélothésies zodiacales [influences astrales sur le corps humain] ni les mélothésies planétaires ne placent l’œil sous la domination du Taureau ou de la planète qui y est domiciliée ? » (op.cit. p. 396) Et il avance alors « l'hypothèse que le choix des astrologues a pu être inspiré par la croyance en l'existence de relations entre le nom donné à cette plante, la colombe, la vue et Aphrodite. » Ce mot peristereôn évoquait en effet la colombe*, oiseau d'Aphrodite, la maîtresse du signe taurin, et l'on croyait dans l'Antiquité à son pouvoir de guérison de la vue. Ainsi Celse, auteur latin contemporain de Pline, note dans la partie de son encyclopédie médicale consacrée aux ophtalmies, qu'une lésion de l’œil ne saurait être mieux soignée qu'avec du sang de pigeon, de ramier ou d'hirondelle.


Or, l'histoire de sainte Foy rapporte qu'attachée sur une grille de bronze sous laquelle brûle un feu de poix et de charbons ardents, une colombe dépose sur la tête de la jeune fille une couronne de gloire puis éteint le brasier d'un battement d'ailes accompagné d'une rosée abondante.
Et nous avons vu que sur le vitrail de Chartres, une colombe descend du ciel tandis que Pantaléon prie avant le supplice final.

Guy Ducourthial signale encore que l'on croyait que certains oiseaux utilisaient des plantes précises pour soigner les yeux crevés ou arrachés de leurs petits. Le nom de ces plantes dérivait alors du nom de l'oiseau qui en usait, ainsi l'hirondelle (chelidôn) a-t-elle donné son nom à la chélidoine. Je ne peux m'empêcher de rapprocher cette croyance du miracle le plus remarquable narré dans le Livre des miracles de sainte Foy, à savoir qu'un certain Guibert ou Gerbert, énucléé par son maître en 980, aurait vu ses globes oculaires « pousser à nouveau sous ses paupières vides. Recouvrant la vue, il aurait manifesté sa joie en grimpant dans le clocher-porche pour ébruiter aux sons des cloches l'heureuse intervention de sainte Foy. Et le bruit s'en répandit effectivement. » (Marie Renout, Renaud Dengreville, Conques, Editions du Rouergue. p. 28)

Chelidonium Majus - Franz Eugen Köhler, Köhler's Medizinal-Pflanzen —
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* En grec, le mot peristera  désigne aussi bien le pigeon que la colombe et peristerion le jeune pigeon ou la jeune colombe.

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