mardi 25 avril 2017

# 98/313 - 813

« Le nom d’Arsène Lupin ? la création de ce personnage ? Je serais incapable de vous dire comment l’idée m’en est venue. Sans doute était-elle en moi, mais je l’ignorais […] En réalité, tout cela est né dans mon inconscient […] »

Maurice Leblanc

Doit-on croire Maurice Leblanc quand il affirme ne rien savoir de la genèse de Lupin ? En tant qu'écrivain, il n'ignore certainement pas le sens du mot lupin. En l'affichant aussi ostensiblement, ne  rejoue-t-il pas d'une certaine manière le coup de La Lettre volée, d'Edgar Poe ? Le gentleman-cambrioleur est un loup garou mais nul ne le voit car trop clairement affiché. Soit dit en passant, il a rendu hommage au poète américain : « Si j’ai été influencé par un romancier, c’est par Edgar Poe. », ajoutant ailleurs être redevable à Poe « à bien des égards [...] car il savait, lui, comme nul ne l'a jamais tenté depuis, créer autour de son sujet une atmosphère pathétique. »
En baptisant son héros Lupin, Maurice Leblanc faisait aussi d'une pierre deux coups : le détective logicien de La Lettre volée n'est autre qu'Auguste Dupin. A une lettre près...

Remarquons maintenant que Leblanc écrit à une époque où le loup vit ses dernières années dans le pays. Daniel Bernard, dans Le Loup en Berry (2017), déclare que les loups ont commencé à disparaître en Berry à la fin du XIXe siècle. Au début du XXe siècle, on ne signale plus guère que de  "rares animaux erratiques". La simplification des conditions de chasse, l'augmentation des primes, la modernisation des armes à feu ont provoqué le déclin puis la disparition de l'espèce. Le loup fléau immémorial est éradiqué. Difficile dans ses conditions de revendiquer explicitement la louvitude (si je puis risquer l'expression) du héros. Il est plus facile d'en appeler à l'inconscient...

Qu'il y ait de l'inconscient, je n'en doute pas, mais que rien de conscient ne soit au départ de la geste lupinesque, j'ai peine à le croire. 
Et je le crois encore moins après avoir lu ce que j'ai lu.
Dans la double page qu'il consacre à la louveterie, Daniel Bernard explique qu'en 813, Charlemagne réglemente la chasse au loup, chargeant ses comtes de désigner deux hommes, les luparii, responsables de la traque. Ce fameux capitulaire de Villis est le premier acte officiel d'un État contre canis lupus.

Capitulare secundum anni DCCCXIII
Cap. VIII - Ut Vicarii luparios habeant
Ut vicarii luparios habeant unusquique in suo ministerio duos. Et ipsi de hoste pergendi et de placito Comitis vel Vicarii ne custodiat, nisi clamor supereum veniat. Et ipsi vertare studeant de hoc ut perfetum exinde habeant et ipsae pelles luporum ad nostrum opus dentur. Et unus quisque de illis qui in illo ministerio placitum custodiunt, detur eis modium de annona.
Deuxième capitulaire de l’an 813
Chapitre VIII – Au sujet des propriétaires ruraux qui possèdent des chasseurs de loups (louvetiers)
Les propriétaires ruraux doivent avoir dans leur « ministère » deux chasseurs de loups (louvetiers). Et qu’ils ne s’occupent pas eux-mêmes du passage de l’ennemi ou du décret du Comte ou du propriétaire foncier s’ils ne reçoivent pas d’ordre à ce sujet. Et qu’ils doivent réfléchir à ce sujet qu’à l’avenir ils doivent avoir une ordonnance et que les peaux de loups soient remises à notre ministère. Et qu’à chacun qui dans ce ministère surveille la décision, soit donnée un « modus » (mesure romaine de volume) de la récolte de grains.


813. Mais c'est là aussi le titre de l'une des plus célèbres aventures de Lupin, parue en juin 1910. Est-ce un hasard ? Je ne possède pas le roman, mais il est disponible en ligne sur Wikisource. Le nombre 813 est au cœur de l'énigme. Sa signification reste longtemps obscure, jusqu'au chapitre 5 de la deuxième partie. Je ne veux pas spoiler l'histoire, aussi me contenterai-je d'indiquer que la résolution du mystère du 813 n'a rien à voir avec les loups ou bien avec Charlemagne.

Cependant, quel est le titre du chapitre précédent ? Rien moins que Charlemagne.

Titre bien étrange car il est bien peu question de Charlemagne dans ce chapitre. Il n'y est d'ailleurs cité qu'une seule et unique fois :
"Ils se turent tous les deux, et ce moment de répit n’était pas de ceux qui précèdent la lutte de deux adversaires prêts à combattre. L’étranger allait et venait, en maître qui a coutume de commander et d’être obéi. Lupin, immobile, n’avait plus son attitude ordinaire de provocation ni son sourire d’ironie. Il attendait, le visage grave. Mais, au fond de son être, ardemment, follement, il jouissait de la situation prodigieuse où il se trouvait, là, dans cette cellule de prisonnier, lui détenu, lui l’aventurier, lui l’escroc et le cambrioleur, lui, Arsène Lupin et, en face de lui, ce demi-dieu du monde moderne, entité formidable, héritier de César et de Charlemagne."
Ce demi-dieu est l'Empereur d'Allemagne, héritier donc de Charlemagne. Le premier empereur ennemi déclaré de la gent lupine. Tout est merveilleusement cohérent.
Soit Maurice Leblanc a magnifiquement orchestré tout cela, soit c'est l'attracteur étrange qui s'est chargé de l'opération.
Il ne s'est pas gêné en tout cas pour envoyer quelques signes : en reprenant la voiture ce matin, un des deux compteurs affichait 8133. Et une visite d'exposition à Issoudun au musée Saint-Roch, prolongée par une petite ballade en ville, nous conduisit jusqu'à la collégiale Saint-Cyr, où je fus à peine surpris, mais réjoui tout de même, de découvrir un vitrail représentant Charlemagne. Une brochure à l'entrée m'apprit ensuite qu'il aurait été le fondateur de l'édifice, car il avait une grande dévotion pour saint Cyr, enfant martyr qui l'aurait protégé d'un sanglier lors d'un songe.

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