mercredi 17 mai 2017

# 117/313 - On écoutera ça à la popote du soir

A Pauline, 27 ans aujourd'hui,
qui a rencontré le Stalker
et connaît la ferveur des caves

Après le seau et la cloche, deux autres objets de L'enfance d'Ivan ont retenu plus particulièrement mon attention. En premier lieu, le gramophone que répare Katassonov, qui n'est pas sans me rappeler l'électrophone de Nathalie Pascaud dans Les vacances de M. Hulot. Le contexte est bien sûr totalement différent, mais dans les deux cas, l'appareil permet d'insérer la musique dans la scène sans recourir à ce que l'on a appelé la musique de fosse. Ici, Katassonov arrive dans le refuge souterrain en disant qu'il a trouvé un ressort pour le phono. La scène se poursuit et c'est au moment précis où Kholine et Galtsev vont sortir que la musique retentit, les figeant sur place.


Je ne sais pas quel est le chant que l'on entend, mais avec ses basses profondes, nul doute qu'il s'agisse d'un chant russe traditionnel. L'émotion est palpable, que Katassonov choisit de ne pas prolonger : il soulève l'aiguille - "On écoutera ça à la popote du soir."


Le gramophone est utilisé plus tard dans la scène déjà évoquée hier des adieux de Macha. En l'arrêtant, alors même que la jeune fille s'est éclipsée, Kholine fait remarquer le "silence incroyable" qui s'établit alors.


Et c'est encore dans ce même espace souterrain que prend place le quatrième objet, celui-ci déjà bien connu de nous, plusieurs fois rencontré dans les films de Tarkovski : le miroir. En effet, un grand miroir, avec un cadre assez sophistiqué, à vrai dire déplacé dans ce lieu, y trône néanmoins, permettant au cinéaste, qui répugne au champ-contrechamp, d'inscrire ses personnages en dialogue dans le même plan.


Ici, par exemple, Ivan s'adresse à Galtsev. Son regard part vers le hors-champ où se trouve l'officier, tandis que le reflet de celui-ci dans le miroir semble regarder l'enfant de dos. Et quand il s'avance sur Galtsev, outré par les propos de celui-ci, l'effet est encore plus saisissant.


La cloche, le gramophone, le miroir, c'est à travers les choses que Tarkovski transcrit les mouvements et les émotions de ses personnages, jusque dans un espace aussi confiné que cette cave. Étrange destin d’ailleurs pour ces choses : la cloche a été relevée par Ivan, le gramophone remonté par Katassonov, le miroir sans doute sauvé du désastre de la maison qui le possédait. Choses perdues et retrouvées, menacées et préservées : restaurées dans leur lustre, elles transportent à nouveau le son et l’image, vraies métaphores de la joie et de la communion.

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