lundi 26 juin 2017

# 151/313 - Vivre de soleil et de lune

Le 26 juin 1967, il y a donc exactement 50 ans, l'actrice Françoise Dorléac se tuait à la sortie Villeneuve-Loubet de l'autoroute de l'Esterel. Elle était en retard pour prendre l'avion qui devait l'emmener à Londres pour l'avant-première  de « The Young Girls of Rochefort », tourné simultanément en anglais et en français. Elle n'avait que 25 ans.

Celle qui était la soeur aînée de Catherine Deneuve avait commencé sa carrière cinématographique en 1960, et n'avait plus cessé d'enchaîner les films, une quinzaine en sept ans, avec quelques grands succès publics et critiques : L'homme de Rio, de Philippe de Broca, en 1963, La peau douce, de François Truffaut, en 1964 et surtout Les demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy, en 1967. Elle y incarne  Solange Garnier, la sœur jumelle de Delphine, jouée par Catherine Deneuve.

«A nous deux, nous ferions une femme formidable », disait Deneuve sur le tournage du film, en 1966. Parole rapportée par Anne Boulay, dans un article de Libération du 12 décembre 1996, qui se poursuivait  ainsi :
«Le jour et la nuit». C'est ainsi que la «belle de jour» définit ce couple de «fausses jumelles» que les deux sœurs formaient à la ville comme à la scène: d'entrée de jeu, les rôles qu'on leur propose sont les échos des personnalités si différentes de la blonde et de la brune, respectivement sol y sombra. A toutes les époques de sa carrière, Catherine Deneuve garde ce même visage d'icône, incarnation parfaite de la féminité à la française, nature essentielle qu'elle n'a pas eu à travailler. Françoise, elle, a les traits si mobiles que les nombreuses photos qui émaillent le document ne la montrent pas deux fois avec avec le même visage."
Le 26 juin 1967, dans l'autre hémisphère, naissait à Antananarivo, capitale de Madagascar, l'écrivain et poète Jean-Luc Raharimanana. Il quitte son pays à 22 ans pour étudier en France, où il devient journaliste et enseignant. Il y revient en 2002 pour porter secours à son père, arrêté puis torturé par le nouveau régime. Un récit relate ces événements douloureux, L'arbre anthropophage, Joëlle Losfeld, 2004. C'est ce livre que j'ai acheté au festival Chapitre Nature, au Blanc, en mai dernier, après avoir brièvement rencontré l'auteur, alors en résidence.


Jean-Luc Raharimanana a donc 50 ans ce jour-ci. Bon anniversaire à lui, qui ne lira sans doute jamais cette chronique. Pourquoi mettre en regard maintenant ces deux événements, cette mort tragique et cette naissance à l'autre bout du monde ? Je suis bien incapable de répondre, disons seulement que cette collision m'a frappé : la disparition d'une star annoncée, la beauté foudroyée (Françoise Dorléac meurt brûlée vive dans sa Renault de location) et l'apparition d'un poète, qui rendra compte du malheur de son peuple, de la répression féroce de 1947, si mal connue ici en France, et qui fit des dizaines de milliers de morts à Madagascar.
"J'aimerais dire, comme Maurice Blanchot : "Que ce qui s'écrit résonne dans le silence, le faisant résonner longtemps, avant de retourner à la paix immobile où veille encore l'énigme.¹"
Car l'écriture n'est qu'illusion. Illusion dans le sens où l'on a l'impression d'avoir vaincu le silence. Mais la vie elle-même n'est qu'une suite d'éclats où l'on tente d'échapper au temps, au néant qui nous attend.
Un proverbe malgache : "Nous étions dans le noir du ventre, nous naissons pour vivre de soleil et de lune, nous retournerons dans le noir de la tombe." Le noir, le silence nous survivra. L'écriture peut-être retardera l'échéance. Comme un écho qui ne voudrait pas mourir, qui s'attarde longtemps, de bouche en bouche." (L'arbre anthropophage, p. 20)
Voilà. Un écho, c'est peut-être cela seulement que je transcris ici. A un demi-siècle de distance, d'un continent à une île, d'un homme à une femme, d'un fait divers qui fit la une des journaux à la nativité qui passa inaperçue.
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1. Maurice Blanchot, L'écriture du désastre, 1980.

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