lundi 3 juillet 2017

# 157/313 - De Ventadour à Marcabru

Acheté à Domme, dans le Périgord le 5 août 2005, je n'avais pas encore vraiment lu Sur les pas d'Aliénor d'Aquitaine,  le livre richement illustré d'Amaury Chauou paru la même année aux éditions Ouest-France. L'entrée en ces pages de la double souveraine me donne occasion pour le faire, mais impossible d'être exhaustif, concentrons-nous sur les années 1170-1172, qu'Aliénor passe à Poitiers, avec la galerie de poètes présentée à ce stade par l'auteur.

Outre Guillaume IX d'Aquitaine, le grand-père dont j'ai déjà retracé brièvement le parcours, il cite en premier lieu Bernard de Ventadour, troubadour limousin qui suivit Aliénor en Angleterre au moment de son mariage avec Henri II. Il lui adressa des chansons, sans que rien ne permette de dire à coup sûr, contrairement à ce que certains affirment, qu'il en fut amoureux.



Le second nommé n'est autre que Bertran de Born, seigneur de Hautefort, qui n'est pas un inconnu pour nous puisque nous l'avons croisé à la chronique 62 lors de l'examen du roman de Paul Auster, Invisible, où l'un des personnages, Rudolf Born, était un homonyme du poète. 

"Défenseur convaincu de l'écrivain qu'avait été de Born, écrit Paul Auster, Dante l'a néanmoins voué à la damnation éternelle pour avoir conseillé au prince Henri Plantagenêt de se révolter contre son père, le roi Henri II, et puisque de Born avait provoqué la séparation entre père et fils, faisant d'eux des ennemis, l'ingénieux châtiment imaginé par Dante consistait à séparer Born de lui-même. D'où le corps décapité gémissant dans l'au-delà, qui demande au voyageur florentin s'il peut exister douleur plus terrible que la sienne."(p. 7)

(Notons que cet article évoquait également le Paterson de Jim Jarmusch. Ce qui montre bien encore une fois l'intrication des thèmes dans cette investigation.)
Amaury Chauou signale que Bertran de Born, "ce grand spécialiste des sirventès, où étaient traités de manière parfois véhémente des thèmes satiriques et politiques ainsi que des thèmes guerriers contemporains, doit lui aussi beaucoup à Aliénor d'Aquitaine, dont il attendait des largesses matérielles." (p. 78)

Il cite ensuite le troubadour Jaufré Rudel, dont on sait qu'il a accompagné Louis VII et Aliénor à la deuxième croisade. Celle-ci avait été annoncée à Bourges, où le couple était venu fêter Noël en 1144. Décision surprenante car c'était la première fois qu'un roi d'Occident prenait le risque d'une expédition en Terre sainte. C'est Bernard de Clairvaux qui fut chargé de la prédication, ce dont il s'acquitta avec brio à la Pâques 1146, à Vézelay, où il enflamma l'assistance. L'année suivante, le 12 mai 1147, la troupe s'ébranla de Saint-Denis, en présence du pape Eugène III. Mais l'affaire tourna au fiasco, militaire et sentimental. Quant à Jaufré Rudel, qui se serait engagé par amour pour la comtesse Hodierne de Tripoli, qu'il n'avait pourtant jamais vue ( c'était un amour de loin, « amor de lonh »), il serait tombé malade et mort dans les bras de sa princesse. On n'est pas obligé d'y croire...


La mort de Jaufré Rudel dans les bras de Hodierne de Jérusalem
Le dernier poète occitan cité se nomme Marcabru, "autre figure de la lyrique courtoise du XIIe siècle, familier de Guillaume X d'Aquitaine et de la cour de Poitiers, il aurait chanté sa flamme pour Aliénor d'une façon telle que Louis VII en aurait conçu de l'irritation et l'aurait fait écarter." Ce nom est un pseudonyme dont la signification est controversée. Il se trouve aussi, à ma grande surprise, qu'il désigne l'un des personnages de ma fiction 1967, où il apparaît le 21 mai 1967 :

"Mais le passage dans la boue, ça laisse toujours des traces, et tu as fini par les retrouver, et c’est pourquoi tu es là, en faction devant cette putain de baraque sans beauté, aussi triste qu’un canal du Nord.
D’ailleurs c’est peut-être là qu’il achèvera de pourrir, Marcabru, lorsque tu lui auras troué la panse. Brémont a fini dans le Rhône, lui finira - l’idée te plaît bien - dans un de ces segments d’eau morte qui balafrent le plat pays."

Sans doute ai-je un jour croisé ce nom de Marcabru, enregistré inconsciemment puis resurgi lors de la recherche de noms pour mes assassins d'Indochine. Il est seulement certain que j'ignorais tout du troubadour Marcabru lorsque ce nom s'est comme imposé à moi.

Il est amusant, par ailleurs, de lire ceci dans la notice de Wikipédia : "Son style moralisateur, misogyne, voire misanthrope, lui a, semble-t-il, assuré autant de partisans que d'adversaires (qui ont alors peut-être décidé de le tuer). Ses poèmes, ou sirventès, dénoncent souvent la lascivité des femmes et critiquent l'amour courtois. Il aime par ailleurs donner la parole aux humbles gens." [c'est moi qui souligne]

Marcabru semblait donc voué à susciter des haines. Et fort logiquement, selon François Zufferey, "le surnom signifierait mâle caprin, donc bouc, surnom en accord avec sa position artistique, combattant le fin amor."

Marcabru
 Toujours est-il que Marcabru est l'auteur de la plus ancienne pastourelle connue : L’autrier jost’ una sebissa. (L'autre jour, près d'une haie)

 
                                          Titre :  « L’autrier jost’ una sebissa »
                                          Album : Bestiarium (1997)
                                          Interprète : La Reverdie

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