vendredi 11 août 2017

# 191/313 - In the beginning was magic

"Le souffle est déjà une première forme de cannibalisme : nous nous nourrissons quotidiennement de l'excrétion gazeuse des végétaux, nous ne pouvons que vivre de la vie des autres. Inversement, tout vivant est d'abord ce qui rend possible la vie des autres, produit de la vie transitive capable de circuler partout, d'être respirée par autrui."

Emanuele Coccia, La vie des plantes, Rivages, 2016, p 66

A la médiathèque, en même temps que Le Miroir, j'avais emprunté un CD dont je ne savais à peu près rien. Mais c'était le seul qui me faisait signe dans le tiroir des nouveautés. J'ai attendu plus d'une semaine pour l'écouter, c'est dire si je ne ressentais pas d'urgence.

De fait, c'est un très beau disque, réunissant trois musiciens et une chanteuse kurde, qui ont joué pour la première fois ensemble, à l'été 2012, au Morgenland Festival d’Osnabrück (consacré aux musiques du Proche-Orient, traditionnelles, expérimentales, jazz ou rock). Le présent enregistrement n'a eu lieu qu'à l'automne 2015, mais la première rencontre a été filmée, avec cette chanson traditionnelle kurde, Delalê, sur laquelle ils ont librement improvisé.


Le groupe s'est donné le nom d'Hawniyaz, ce qui, en kurde, signifie quelque chose comme :"Chacun a besoin de chacun, chacun est là pour l'autre." Pour moi, qui venait de terminer la lecture de l'essai d'Emanuele Coccia, il y avait bien sûr comme une résonance formidable. Le texte du livret intérieur, écrit par Michael Dreyer, titré In the beginning was magic, enfonçait bellement le clou :
"Chacun des musiciens de cet ensemble possède sa singularité, mais, associant leurs sonorités propres, ils créent un nouvel univers musical qui réunit musique kurde, musique perse et jazz avec une évidence qui nous rappelle que les cultures - et pas seulement dans cette région du monde - ont toujours été fluides, se sont toujours interpénétrées, qu'elle ont toujours été - et sont toujours - en mouvement. Peut-être est-ce là, soit dit en passant, un argument contre les peurs de l'Occident, qui craint pour "sa"culture, lorsque des gens venus d'autres horizons viennent chercher chez nous u refuge et un autre foyer."[C'est moi qui souligne]
Ces mots trouvaient eux aussi écho dans le livre de Coccia : "Si les choses forment un monde, écrit-il, c'est parce qu'elles se mélangent sans perdre leur identité." Les notions de fluidité, d'interpénétration sont également au cœur de sa méditation :
"Elle nous entoure et nous pénètre mais nous en sommes à peine conscients. Ce n'est pas un espace : c'est un corps subtil, transparent, à peine percevable au toucher et à la vue. Mais c'est de ce fluide que tout enveloppe, tout pénètre et qui est pénétré par tout, que nous avons les couleurs, les formes, les odeurs, les goûts du monde. Dans ce même fluide, nous pouvons rencontrer les choses et nous laisser toucher par tout ce qui existe et n'existe pas. C'est ce fluide qui nous fait penser, c'est ce fluide qui nous fait vivre et aimer. L'atmosphère est notre premier monde, le milieu dans lequel nous sommes intégralement immergés : la sphère du souffle. Elle est le médium absolu, ce en quoi et à travers quoi le monde se donne ; ce en quoi et à travers quoi nous nous donnons au monde. Plus que le contenant absolu, c'est le remuement de tout, la matière, l'espace et la force de l'infinie et universelle compénétration des choses." (p. 68)

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