mardi 15 août 2017

# 194/313 - Le loriot jaune sait très bien se tenir

"L'image idéale d'une culture n'est-elle pas un jardin à multiples plantes qui rivalisent de singularité et qui, par leurs résonances réciproques, participent à une œuvre commune ?"

François Cheng, Le Dialogue, Desclée de Brouwer, 1998

J'ai retrouvé les photocopies que j'avais faites d'un dossier de la revue Europe consacré à François Cheng. Parmi celles-ci, me retient tout d'abord l'article d'un autre académicien français qui n'est pas précisément pas français : Michael Edwards, qu'il m'est déjà arrivé d'évoquer ici, et qui partage avec Cheng le même amour pour la langue française. Il met en lumière dans sa poésie la place fondamentale de la rencontre : "Pour lui et pour les poètes chinois en général, la poésie est une mise en relation avec un univers conçu lui-même comme un sujet. (...) Tout, pour lui, est présence. Le mot revient souvent, comme pour dire le plaisir ontologique, existentiel du poète devant les rencontres qui lui sont consenties, devant la foisonnante multiplicité d'un monde dont tous les éléments respirent le même souffle." Un peu plus loin il cite un poème du recueil Double chant, où, dit-il, François Cheng fait parler l'autre, en l'occurrence la voix d'un oiseau :

A l'apogée du printemps
Du fond du feuillage
Une branche se détache 
        et fait le geste d'accueil

Et nous traversons 
          l'aire du hasard
Pour nous poser là
A l'instant précis
          de l'éternité

Loriot jaune  (carnets de P.T. Ducourrau, 1868)
"A travers le hasard, poursuit Michael Edwards, qui pour le regard ordinaire et prosaïque expliquerait le fait que l'oiseau choisit cette branche en particulier de cet arbre parmi tant d'autres, la nature se fait signe. Le menu événement d'un oiseau qui se pose obéit à la marche de l'univers et révèle, à l’œil bien ouvert, l'éternité. Le poème s'offre, avec ses vers délicats et exacts, comme une sorte de calligraphie poétique, fondés sur l'art du trait."

Ce que ne dit pas Michael Edwards c'est que les Chinois ont précisément élu comme emblème du hasard un oiseau, le loriot jaune, ce que n'ignorait certainement pas François Cheng. "Le loriot jaune sait très bien se tenir", est-il écrit dans Le Livre des Odes. Commentant cette phrase, Confucius ajoutait : "Se pourrait-il qu'un être humain en sache moins que cet oiseau ?" Et le sinologue Cyrille Javary, commentant lui-même ce commentaire, écrit : "Savoir en toutes circonstances se poser à l'endroit juste, ajuster son agir en fonction du rapport entre le but qu'on poursuit et l'environnement qu'on traverse, voilà bien l'idéal du lettré confucéen et la raison pour laquelle il recommande l'usage du Yi Jing, dont le "rôle est de nous enseigner ce que les oiseaux font naturellement." (Les rouages du Yi Jing, Picquier poche, 2009, p. 56)
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NB : Hier soir, vu le documentaire de Jérôme Prieur, Le triomphe des images, il y a mille ans. Une très belle réflexion sur les peintures murales de l'art roman. La notice du magazine télé parlait uniquement de l'abbaye de Saint-Savin, mais j'ai eu une belle surprise en voyant tout à coup apparaître au mitan du film l'église de Saint-Martin de Vic, à laquelle j'ai consacré naguère plusieurs articles. L'art du Maître de Vic éclate avec évidence sur les très belles images de ce doc, et les interventions des historiens sont éclairantes. On y parle même de Judas. A voir en replay pendant six jours, ne vous en privez pas.

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