vendredi 29 septembre 2017

# 233/313 - Donnez-moi le temps

J'ai replongé avec bonheur dans l’œuvre d'André Hardellet et, après Le Seuil du jardin, j'ai relu Donnez-moi le temps, l'avant-dernier essai* qui fut publié un mois après sa mort (juillet 1974). Bien que parler d'essai pour Hardellet soit un peu trompeur : à la vérité, chez lui, essai, roman, poème trempent dans la même matière rêveuse, les mêmes thèmes s'y rencontrent et le traitement ne diffère guère. En tout cas, cela n'a rien d'une dissertation abstraite où l'auteur adopterait une neutralité prudente. Non, Hardellet est tout entier présent dans chacune de ses phrases, qui sont tissées de ses souvenirs, car, comme il dit, "écrire ses souvenirs, c'est se donner du temps, propos de ce livre : puisque les autres inclinent si peu à nous en concéder, autant se servir soi-même." Et, un peu plus loin, il développe ainsi :
"A chaque instant de notre vie, même si nous n'en avons pas conscience, nous nous livrons à une activité de l'esprit qui constitue un scandale, un défi : nous nous souvenons. Autrement dit, nous rendons actuels des faits tombés dans le gouffre du passé ; ne serait-ce que pour traverser une rue au feu vert. A L'Homme, chassé du Paradis, il a été offert ce pauvre ersatz de l'éternité (toute relative) qui lui permet de dire Je et d'entretenir sa conscience. Hier devient aujourd'hui et, parfois, le recouvre si complètement que Proust a pu parler de "l'incompréhensible contradiction du souvenir et du néant." (p.35)
C'est cette même citation proustienne qui figure en épigraphe du Seuil du jardin. Cela montre bien l'importance que le poète attachait à la figure du souvenir. D'ailleurs le roman lui-même est une fiction autour d'une machine, la machine de Swaine, capable de vous faire revivre de façon charnelle vos propres souvenirs.

Vendredi dernier 22 septembre, je n'interrompis cette lecture que pour me rendre au cours que je devais donner cet après-midi là. Dans la voiture, la radio est cette fois branchée sur France-Culture. Il est 15 heures et des poussières. Soudain, j'ai la surprise d'entendre la voix magnifique de Jean Negroni, la voix narratrice de La Jetée de Chris Marker, que je venais d'évoquer deux jours plus tôt dans un article.

(Le passage débute à 2 : 30)

Dans ce court moment, ces quelques minutes seulement qui me séparaient de l'école, avait surgi  ce formidable écho au souvenir hardelletien. La poésie ici ne sortait pas seulement du livre, elle s’immisçait fantastiquement dans le quotidien de la vie.

Revenu à la maison, je me reportai à ce précieux  livre sur Anatole Dauman (une des pépites trouvées à Noz, je le rappelle), où texte et photos de La Jetée étaient reproduits.



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* André Hardellet, Donnez-moi le temps suivi de La promenade imaginaire, Collection L'Imaginaire (n° 640), Gallimard.


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