lundi 23 octobre 2017

# 253/313 - Trois enfants en Islande

Sans soleil de Chris Marker ne m'a pas retenu seulement pour le motif de l’œil, on s'en doute. De fait, dès le premier plan, la connexion était établie avec Temps glaciaires de Fred Vargas.

Pourquoi ? Il suffit de lire le commentaire qui accompagnait l'image de ces trois enfants :
"La première image dont il m’a parlé, c’est celle de trois enfants sur une route, en Islande, en 1965. II me disait que c’était pour lui l’image du bonheur, et aussi qu’il avait essayé plusieurs fois de l’associer à d’autres images - mais ça n’avait jamais marché. II m’écrivait : «... il faudra que je la mette un jour toute seule au début d’un film, avec une longue amorce noire. Si on n’a pas vu le bonheur dans l’image, au moins on verra le noir.»
L'Islande d'Adamsberg, de l'afturganga, de la mort évitée de justesse, ce n'est pas précisément l'image du bonheur, encore que l'épreuve qu'il y affronte lui fait rencontrer une communauté d'hommes et de femmes attachants, et qu'il s'empresse d'y retourner une fois l'enquête bouclée.
En tout cas, c'est l'Islande ici encore qui était désignée. Islande qu'on retrouve à la fin du film, avec des images cette fois tournées par Haroun Tazieff :


"Et c’est là, que, d’eux-mêmes, sont venus se greffer mes trois enfants d’Islande. J’ai repris le plan dans son intégralité, en rajoutant cette fin un peu floue, ce cadre tremblotant sous la force du vent qui nous giflait sur la falaise, tout ce que j’avais coupé pour “faire propre” et qui disait mieux que le reste ce que je voyais dans cet instant-là, pourquoi je le tenais à bout de bras, à bout de zoom, jusqu’à son dernier 25° de seconde... La ville d’Heimaey s’étendait au-dessous de nous, et lorsque, cinq ans après, Haroun Tazieff m’a envoyé ce qu’il venait de tourner au même endroit, il ne me manquait que le nom pour apprendre que la nature fait ses propres Dondo-yaki. Le volcan de l’île s’était réveillé. J’ai regardé ces images, et c’était comme si toute l’année 65 venait de se recouvrir de cendres."
Un nom mérite une explication : le Dondo-yaki. C'est une bénédiction japonaise, de rite shinto, présentée à la séquence antérieure. A la fin des fêtes, on brûle tous les accessoires, tous les ornements, tous les "débris qui ont droit à l’immortalité". C'est le "dernier état, dit le commentaire, avant leur disparition, de la poignance des choses. Daruma l’esprit borgne connaît une suprême présidence au sommet du bûcher. Il faut que l’abandon soit une fête, que le déchirement soit une fête, que l’adieu à tout ce que l’on a perdu, cassé, usé, s’ennoblisse d’une cérémonie. C’est au Japon que pourrait s’accomplir le vœu de M. de Montherlant, que le divorce soit un sacrement. Le seul moment déroutant de ce rituel aura été la ronde des enfants qui frappent le sol avec leurs longues perches. Je n’ai obtenu qu’une explication - singulière, encore que pour moi elle pourrait prendre la forme d’un petit office intime : c’est pour chasser les taupes."


Une troisième référence à l'Islande se trouve au mitan du film :
«À San Francisco j’ai fait le pèlerinage d’un film vu dix-neuf fois. En Islande, j’ai posé la première pièce d’un film imaginaire. Cet été-là, j’avais rencontré trois enfants sur une route, et un volcan était sorti de la mer. Encore un coup de l’Ensemblier... Les astronautes américains venaient s’entraîner avant la Lune dans ce coin de Terre qui lui ressemble, j’y voyais tout de suite un décor de science-fiction, le paysage d’une autre planète - ou plutôt non, qu’il soit celui de la nôtre pour quelqu’un qui vient d’ailleurs, de très loin. Je l’imagine avançant dans ces terres volcaniques qui collent aux semelles, avec une lourdeur de scaphandrier. Tout d’un coup il trébuche, et le pas suivant, c’est un an plus tard, il marche sur un petit sentier proche de la frontière hollandaise, le long d’une réserve d’oiseaux de mer." [C'est moi qui souligne]
En regardant se dérouler le (très long) générique de Blade Runner 2049, j'ai ainsi vu qu'une partie du film avait été tourné en Islande, patrie aussi du compositeur fétiche de Denis Villeneuve, Jóhann Jóhannsson. Tout était une fois de plus cohérent.

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