jeudi 26 octobre 2017

# 256/313 - Le Corbeau n'a pas trouvé ça drôle


22/10 - Facebook, dont l'algorithme se plaît à faire remonter les souvenirs, me propose une citation de Jean Rochefort publié voici trois ans sur Arantelle (tiens j'avais tapé d'abord oublié : lapsus calami intéressant, car je m'aperçois que de oublié à publié il n'y a qu'une lettre qui change, de o à p, deux lettres qui se suivent par ailleurs dans l'alphabet - de fait j'avais aussi complètement oublié cette belle citation de l'acteur récemment disparu - et que j'ai eu plaisir à revoir dans le magnifique film de Patrice Leconte, Le mari de la coiffeuse, avec la belle, douce et si sensuelle Anna Galiena. Fermons la parenthèse).



Clin d’œil de l'attracteur étrange : la photo de la toile d'araignée, l'arantelle en dialecte creusois, que l'on ne retrouve pas si l'on clique sur le lien, mais si parfaitement accordé, au lendemain de la rédaction du précédent billet, Le festin de l'araignée.
Déjà, la veille, donc le 21 octobre, FB avait ressuscité un article d'Alluvions vieux de deux ans exactement : Pouvoir explosif enfermé dans le noyau des poèmes. Titre emprunté à une parole du poète russe Ossip Mandelstam qui, arrêté à cause de son poème diatribe contre Staline, aurait répondu ainsi à un interrogatoire :

" Le Corbeau s'est adressé à Ossip.
- Vous êtes armé ?
A ma surprise, Ossip a hoché  la tête.
- Il se trouve que oui.
Le Corbeau a semblé pris de court.
- De quoi êtes-vous armé ? Et où cachez-vous l'arme ?
- Je suis armé du pouvoir explosif enfermé dans le noyau des poèmes. Je cache les poèmes en question dans mon cerveau.
Le Corbeau n'a pas trouvé ça drôle." (p. 123)

Je rappelais que quand Mandelstam fut appréhendé, il prit quelques affaires avec lui, mais aussi un petit exemplaire des œuvres complètes de Pouchkine. Quand il ressortira de la cellule de la prison de la Loubianka, il donnera le volume à son compagnon de captivité, l'hercule de cirque Fikrit Shotman.

"Je ne sais pas lire, avoua Fikrit.
- Apprenez, répondis-je. Commencez par Pouchkine. Si un jour vous arrivez à déchiffrer ses mots, vous n'aurez pas besoin de lire autre chose pendant le restant de votre vie." (p. 156)

Il ne sortira que pour partir en exil, avec sa femme Nadejda, à mille cinq cents kilomètres de Moscou.

Nadejda  Mandelstam (1899-1980). Elle avait appris par cœur la majeure partie de l’œuvre de son mari.
Je poursuivais en écrivant que Pouchkine, il en était justement question dans le post d'André Markowitz publié ce jour-là sur FB (eh oui, encore FB, dont il me plaît de penser que l'attracteur étrange manipule l'algorithme - ce qui serait de bonne guerre), à travers une traduction proposée par une jeune actrice d'un poème qu'il connaissait lui-même depuis quarante ans mais n'avait jamais pu traduire de façon satisfaisante. Soudain, quelque chose s'ouvre :

"(...) d'un seul coup, là, mardi matin, quelque chose s'est mis à remuer, et j'ai trouvé le dernier vers : "le bruit gracile de ses pas". Le bruit gracile des pas. Quand je dis que je l'ai trouvé, je ne dis pas du tout que c'est comme ça qu'il faut traduire, c'est juste que, soudain, bizarrement, il y a eu dans cette alliance de mots et de sons quelque chose comme une ouverture. Et j'ai senti que le début, alors, peut-être, serait possible aussi. Ça devait commencer par "Pourquoi... ". Bref, j'ai passé la journée d'hier à marmonner, à griffonner et voilà le résultat.
Donc, c'est écrit en 1820, au moment où l'exil de Pouchkine commence. En fait, c'est déjà écrit en exil. Il a vingt-et-un ans. [C'est moi qui souligne]

"Pourquoi l'ennui vient-il d'avance
Ronger le cœur, mouiller les yeux,
T'offrant, soumis, à la souffrance
Inévitable de l'adieu ?
Déjà si proche est l'heure noire !
Dans l'exil d'un pays perdu
Tu ne vivras que de mémoire
Des jours qui ne reviendront plus.
Au prix du sang et des tortures,
Alors n'achèterais-tu pas
Rien qu'un écho de sa voix pure,
Du bruit gracile de ses pas ?"

Si je reviens là-dessus, c'est que j'y perçois un écho, pour reprendre un mot important du poème, un écho profond à ce que j'écrivais avant-hier sur les bulles gazeuses d'Adamsberg et le moment de la naissance de l'idée chez Jean-François Billeter.


Enfin, cet article résonnait aussi avec un billet de Daniel Bougnoux posté le 20 octobre 2015, Solitude de Marie, où une belle analyse de trois tableaux du Titien était précédée par ces deux paragraphes :

"Plusieurs de mes amis se sont trouvés récemment à Venise. Qui est pour moi la ville du Titien. Y ont-ils scruté sa peinture ? Je voudrais retourner dans la Sérénissime rien que pour y recevoir le choc de ces trois tableaux.
*
Dans la foisonnante iconographie religieuse du Titien, la figure de Marie brille d’un éclat singulier : n’est-elle pas l’emblème même de Venise, qui fut fondée selon la légende le jour de l’Annonciation ?"


Ce thème de l'Annonciation m'était apparu peu de temps avant à travers un film de Clément Cogitore et un spectacle de Yannick Jaulin (article du 19 octobre 2015). Or, ce 19 octobre 2017, j'ai visionné sur Mubi le film d'Andreï Zviaguintsev, Le Bannissement. Drame familial splendidement filmé, très visiblement inspiré par Tarkovski, dont je ne développerai pas ici l'intrigue, mais où je relève une image essentielle, une des nombreuses références bibliques du film : les enfants reconstituant le puzzle de l'Annonciation de Léonard de Vinci.





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