mercredi 31 janvier 2007

Mes huit ans et demi de jeunesse

D'Aigurande, où la neige avait enseveli les jardins, j'ai rapporté les Mémoires de guerre et de captivité de Jean M., le voisin de mes parents. Intitulés Mes huit ans et demi de jeunesse.
En ai commencé le soir-même la lecture.

samedi 27 janvier 2007

Dans la terre poursuivie de l'attente

Dans la terre poursuivie de l'attente,
La glaise indécise sous le lit du ciel,
Je dois retracer le chemin
Avec l'orvet comme unique mesure.

Le soleil s'est couché au dos des étangs ;
Un foulque, un instant, a piétiné l'ombre :
Il était temps pour nos yeux de partir,
Partir avant l'arrivée sombre du sang.


lundi 22 janvier 2007

Femme fractale

Torse insoumis
qui se déplie
s'étend
se laisse

s'affale
se nappe
dans la masse
creuse dans la nasse

se dresse dans l'axe
où l'ombre striée
d'un store
s'enlace


ocres mêlées
à l'empan
d'une aurore

jeudi 18 janvier 2007

Le Guetteur de rêves

Exaltante lecture que celle de l'essai de Stéphane Mosès. Sans l'Angelus Novus de la couverture, je serais passé à côté. Dans l'analyse qui y est développée des conceptions de l'histoire de Rosenzweig, Benjamin et Scholem, j'entrevois des rapports étroits avec mes intuitions déjà anciennes. Cette idée d'un temps ouvert à l'irruption du nouveau, d'un temps discontinu non complètement régi par les lois de causalité rejoint la figure de l'Archéo-réseau avec ses émergences dans l'actuel.

Mosès évoque le tableau de Klee à la suite d'une réflexion de Benjamin sur le nom de la personne :

"A chaque homme son nom garantit sa création par Dieu, et en ce sens il est lui-même créateur, comme l'exprime la sagesse mythologique dans l'intuition (qui n'a d'ailleurs rien de rare) selon laquelle le nom d'un homme est son destin." Forme vide sans contenu sémantique défini, le nom préexiste à l'homme, mais celui-ci engendre, à partir de cette pure structure, une infinité de significations nouvelles. D'où, dans un texte pseudo-autobiographique rédigé en 1933, la fiction d'un "nom secret" que ses parents lui auraient donné à la naissance, et qui, depuis lors, gouvernerait sa vie. Ce nom, Agelisus Santander, que Gershom Scholem a déchiffré comme une anagramme de "Angelus Satanas", renvoie à l'aquarelle de Paul Klee intitulée Angelus Novus, que Benjamin avait acquise en 1921 et qui deviendra pour lui la figure emblématique de son propre destin. Les deux métaphores de l'ange et du nom se font ici écho comme deux représentations de la manifestation, ou plutôt de l'irruption, de l'originel au coeur du présent. "Dans la chambre que j'habitais à Berlin, écrit Benjamin, cet autre nom [...] avait son portrait accroché à mon mur : Ange nouveau." Mais cet ange symbolise aussi l'intuition centrale de la philosophie de l'histoire de Benjamin : "La Kabbale, ajoute-t-il, raconte que Dieu crée à chaque seconde une foule d'anges nouveaux, et que chacun d'eux n'a qu'une seule et unique fonction : chanter un instant la louange de Dieu avant de se dissoudre dans le néant. Ce fut comme si l'un d'entre eux que l'Ange nouveau se présenta à moi, avant de consentir à me révéler mon nom." Le sens de l'Histoire ne se dévoile pas, pour Benjamin, dans le processus de son évolution, mais dans les ruptures de sa continuité apparente, dans ses failles et ses accidents, là où le soudain surgissement de l'imprévisible vient en interrompre le cours et révèle ainsi, en un éclair, un fragment de vérité originelle. Au cœur du présent, l'expérience la plus radicalement nouvelle nous transporte ainsi, en même temps, jusque vers l'origine la plus immémoriale. expérience fulgurante où le temps se désintègre et s'accomplit à la fois. "Ce que l'Ange veut, c'est le bonheur : tension où s'opposent l'extase de l'unique du nouveau, de ce qui n'avait jamais été connu, et cette autre félicité, celle du recommencement, des retrouvailles, du déjà vécu." Cette rupture unique du tissu temporel se vit à la fois comme une anamnèse, comme une reconnaissance des harmoniques originelles du langage, et comme l'expérience vertigineuse d'un amour auratique : "C'est pourquoi la seule nouveauté que [l'Ange] puisse espérer passe par le chemin de retour, lorsqu'il entraîne de nouveau un être humain avec lui. Ainsi pour moi : à peine t'avais-je vue pour la première fois que je retournai avec toi vers le lieu d'où j'étais venu." (pp. 163-164)

Et aujourd'hui, nouvelle "harmonique" au poème déposé ici lundi dernier, je lis, dans une annonce de l'IMEC autour du livre de Jean-Michel Palmier sur Benjamin (livre inachevé que j'ai maintenant grande envie de découvrir), que le penseur est désigné comme le "Guetteur de rêves" (après recherche, ce nom proviendrait d'un livre de Miguel Abensour).

lundi 15 janvier 2007

Rapport d'un guetteur

Sommeil bradé à l'étal des songes
Solitaire sur l'aile de l'instant
Mes yeux s'épuisent à fouiller l'ombre

Sur l'ardoise éclatée des rêves
J'inscris les mouvements du silence
L'affleurement fugace d'une lèvre

Tout ce qui vint en ce royaume
Chat de gouttière éventrant la nuit
Poulpe noir réfracté dans la paume

jeudi 11 janvier 2007

samedi 6 janvier 2007

Perdu le paradis



C'est le titre du dernier livre, emprunté à la médiathèque, de Cees Nooteboom, un écrivain néerlandais que je lisais pour la première fois, après avoir longtemps tourné autour. Un court roman qui lui aussi s'inscrit nettement dans la constellation symbolique apparue après la lecture des Souris et des Hommes.

Ça commence dès la citation liminaire de Walter Benjamin, qui s'articule autour du tableau de Paul Klee intitulé Angelus Novus (1920). Texte que j'ai retrouvé sur Remue.net.

En poursuivant la recherche, j'apprends par le blog Lunettes rouges que Benjamin avait acheté ce tableau en 1921. Quand il quitta Paris en 1940, il laissa "deux valises de documents, dont ce tableau, à Georges Bataille, qui les cacha à la Bibliothèque Nationale pendant la guerre, puis les remit au philosophe et musicien Theodor Adorno, lequel les transmit à l’héritier de Benjamin, le philosophe juif Gershom Scholem à Jérusalem (le tableau est actuellement dans un musée de Jérusalem)."

Avec ce tableau resurgit donc la traque, la mort, l'extermination. Alma et Almut, les deux jeunes brésiliennes dont le livre de Nooteboom conte l'histoire, ont des grands-pères allemands, venus au Brésil après la guerre et qui ne veulent pas parler de leur passé : "Ils ne veulent jamais parler de la guerre, et nos pères ne veulent jamais parler de leurs pères. (p.28) " Voilà, c'est tout, l'auteur n'insiste pas, on a compris.

Alma est une accro des anges, elle raffole des Annonciations. Si Almut parle avec dérision de sa volière, elle partage néanmoins avec elle une égale fascination pour l'Australie, leur secret, et la culture aborigène : "Les hommes-foudre, le serpent arc-en-ciel et tous ces autres êtres à forme humaine ou non, qui avaient traversé le chaos du monde avant sa formation, avaient ainsi créé toutes choses et appris aux hommes comment se comporter avec l'univers. Dans ce temps du rêve, les ancêtres mythiques avaient jeté sur le monde les mailles d'un filet de "rêvements". Tantôt ces ancêtres étaient attachés aux habitants d'un lieu déterminé, tantôt ils parcouraient le désert sur de longues distances, si bien que les gens de diverses régions, même lorsqu'ils parlaient des langues différentes, étaient unis les uns aux autres par un même"rêvement". Et tout cela se voyait à travers le territoire, partout les esprits et les ancêtres avaient laissé leurs traces sous la forme de pierres, d'étangs, de formations rocheuses, qui permettraient aux générations suivantes de lire les récites et de remonter ainsi le cours de leur propre histoire. Et ce n'était pas tout. Non seulement les forces toujours vives de ces êtres ancestraux restaient visibles et identifiables dans le paysage, mais les hommes eux-mêmes avaient leurs propres "rêvements", qui les reliaient aux êtres ancestraux. Et tout cela s'exprimait à travers ce qu'on appelait aujourd'hui l'art, votre identité spirituelle, votre totem, caractérisé par un phénomène naturel ou un animal, par des chants que personne d'autre ne pouvait chanter, par des danses, des signes secrets, une cosmogonie qui n'avait jamais été écrite mais où tout, littéralement, avait sa place, une place où vous-même ou votre groupe reviendriez perpétuellement, un monde sans langue écrite, une encyclopédie sans fin de signes qu'au bout de dix mile ans vous lisiez encore à livre ouvert et où vous aviez votre place. (pp. 42-43)"

Pierres, étangs, sources, bois étaient aussi pour les Celtes porteurs de sacré. Ce filet de "rêvements" qu'évoque Nooteboom est une autre géographie sacrée. Le souvenir me revient bien sûr du livre de Bruce Chatwin, Le Chant des pistes, que j'avais abondamment annoté il y a quelques années. Il écrivait alors qu'il avait "le sentiment que les itinéraires chantés ne se limitaient pas à l’Australie, mais constituaient un phénomène universel, le moyen par lequel les hommes marquaient leur territoire

Alma et Almut ne peuvent que se résigner à demeurer à la périphérie de cet art aborigène, à admirer sans réellement comprendre. Malgré tout, Alma connaît une manière d'extase, lors de la semaine qu'elle passe avec un peintre aborigène "aussi inaccessible que son art" :

"Pour la première fois, j'ai compris ce qu'on appelait au Moyen Age, l'harmonie des sphères. Je suis dehors et non seulement je vois les étoiles, mais je les entends.
Qui donc a banni du monde l'idée des anges alors que je continue à les sentir autour de moi ? Mon mémoire de fin d'études portait sur les représentations d'anges musiciens, Jérôme Bosch, Matteo di Giovanni, mais avant tout sur une miniature d'un manuscrit enluminé du XIVe siècle.

On y voit saint Denis à son pupitre, écrivant son livre sur la hiérarchie des anges qui, suspendus au-dessus de lui selon neuf cercles concentriques, tiennent leurs instruments médiévaux. Survolant sa tête mitrée, ils vont à la rencontre les uns des autres avec leurs instruments à cordes ou à vent, leurs psaltérions et leurs tambourins, leur orgue et leurs cymbales. Ici, couchée dans le désert, je les entends, incroyable jubilation dans le silence. Anges, lézard du désert, serpent arc-en-ciel, les héros de la création, tout concorde. Je suis arrivée à destination. Et quand je repartirai, je n'aurai rien à emporter, j'ai déjà tout en moi.
" (p. 53, c'est moi qui souligne)

Bibliothèque nationale de France,
département des Manuscrits; Mss.fr. 2090, fo 107

mardi 2 janvier 2007

Comme à Barcelone

Comme à Barcelone, il y a quelques mois, la fièvre soudaine, le corps rompu. Quarante-huit heures de malaise. Toujours dans les temps de vacances (jamais malade pendant le travail), comme si le corps exigeait le grand relâchement.
Comme à Barcelone, l'impossibilité de trouver le bon sommeil réparateur : à la place, les délires abstraits, paralogiques, les débats dont je suis incapable au réveil de me restituer le contenu, la trame. Aucune image psychédélique, aucune vision colorée, hallucinatoire, la seule ivresse des arguments tournant à vide, des idées s'entrechoquant jusqu'au vertige et l'épuisement.
Comme à Barcelone, juste avant la fête prévue, là-bas sur les Ramblas, à l'occasion d'une demi-finale ou finale, je ne sais plus, de Coupe d'Europe, hier, à Poitiers, pour le réveillon, où j'ai zombifié plus que fêté dans la grande maison trop froide pour moi. Comme si je devais m'extraire de la joie des vivants.