dimanche 26 décembre 2010

Simone #2

Carnet jaune

Simone lit la notice nécrologique dans la Nouvelle République. Elle y reconnaît un homme, mort assez jeune. Tiens, il se fait incinérer. Elle fait la moue. Elle a peine à concevoir qu'on veuille se faire incinérer. Enfin chacun est libre. Comme cette belle-sœur qui a refusé d'être enterré dans le même caveau que son mari, un des frères du grand-père Bléron. Elle ne voulait plus voir la famille Bléron. Simone désapprouve : "La famille Bléron vaut bien la famille Ballereau." Une énigme : on a retrouvé sur la tombe un bouquet d'oisils* bien taillés, posé là pour on ne sait quel raison.
Ça me rappelle la séquence du cimetière dans La Terre de Zola. (4 juillet 2001)


osier, en berrichon, utilisé en vannerie.

****

Brève visite à la grand-mère, l'autre jour, allant au Blanc. Elle avait sa femme de ménage, dont la petite voiture sans permis se tenait près du puits. Je l'ai sentie nerveuse. Thérèse était allée chercher ses courses à Neuvy et ne revenait pas, et puis cette femme qui changeait ses horaires (elle vient le matin habituellement), cela ne lui plaît pas. Qu'elle prenne du travail ailleurs, elle n'y voit pas d'inconvénient, mais qu'elle n'en fasse pas les frais : pas question d'être le bouche-trou. La femme en question, petite, boulotte, disgracieuse, est bien malheureuse, c'est ce qu'elle m'a dit l'autre soir. "Son mari est un ours". Est-ce cet ours qui l'a appelée sur son portable, cinq minutes après notre arrivée ? Le son était amplifié, l'interlocuteur hurlait presque. "Où t'étais passé ? etc."Elle, cherchant à calmer manifestement, l'autre continuant à gueuler dans l'appareil. Une pauvre humanité. (26 décembre 2001)

***
Carnet rouge

Au retour du Blanc, je me suis arrêté aux Molles. Quinze jours que je n'étais pas passé. Simone avait lu tous les livres, dont elle me parla avec chaleur. Madame Decourteix avait même pris les références du plus gros.
J'apprends que Marie et Manu sont passés dans la semaine. Pas tout à fait innocemment. Manu s'est apparemment mis en tête de construire l'arbre généalogique de la famille. Il a demandé s'il pouvait voir le livret de famille.
Incidemment, j'apprends des choses : que le père de Simone s'appelait Sauzet et qu'il est mort à la guerre (ce que je savais) avec son frère (ce que je ne savais pas). La mère de Simone avait seize ans. En fait, elle fut élevée par ses grands-parents, sa mère allant travailler comme bonne de ferme et ne la voyant que de loin en loin. Elle se mariera sept ans plus tard et aura sept autres enfants (je ne suis pas certain de ces chiffres), mais Simone continuera de vivre avec ses grands-parents jusqu'à son mariage avec Lucien Bléron, à l'âge de dix-huit ans. Certificat d'études à douze ans, avec mention bien. Travail à la ferme, foin, moisson, animaux de douze à dix-huit ans.
La grand-mère (la sienne) ne savait ni lire, ni écrire.
Lucien faisait des journées dans les fermes, l'exploitation étant trop petite pour subvenir aux besoins de la famille. Simone s'occupait de la vache et des moutons. Et de la pression du cidre de pomme quand c'était la saison.
C'était beaucoup de travail, mais elle dit qu'elle était plus heureuse que maintenant.
Petite, les autres lui disaient : Eh ! Regarde ton grand-père ! Mais ce grand-père (paternel) n'a jamais eu de contact avec elle.
Elle n'exprime aucun sentiment sur cette enfance-là. Qu'y avait-il entre elle et sa mère ? A-t-elle souffert d'être une enfant née hors mariage ?
Elle me montre le livret militaire de Lucien qu'elle n'avait pas retrouvé à temps pour le montrer à Manu. On y apprend peu de choses sur le brigadier Lucien Bléron, né le 11 novembre 1906, de Pierre Bléron et de Marie Prot.
Si, je remarque sa taille, 1 m 66. C'était un petit homme, je réalise cela maintenant. (13 mai 2002)

***

La grand-mère Simone, qui a eu 87 ans le 10 octobre. Déjeuné avec elle, mardi dernier. Elle m'a régalé d'une demi-pintade purée, avec une tarte aux pommes au dessert. Elle voit de plus en plus mal, la rétine est usée. Elle a changé de lunettes, en sachant bien que ça ne changerait rien. Plus que jamais, elle a besoin pour lire des ouvrages corps 16 que je lui rapporte de la bibliothèque. 26 ans que le grand-père est mort, c'est elle qui cite ce chiffre, et elle ne le donne pas en hésitant, après avoir calculé, non, elle le donne fermement, comme si elle le tenait depuis longtemps en sa conscience. 1976, année donc de sa mort. Dans cette façon d'affirmer ce moment, se lisent, mieux que dans une lamentation, l'attachement, le souvenir, la béance jamais rebouchée.
Fidélité au disparu qui se retrouve dans l'attachement à certains objets. Comme le pressoir. Dédé, un jour, lui demandant si elle le vendrait : "Oh, non, c'est trop un souvenir."
C'est elle qui faisait le cidre de pomme quand le grand-père était encore accaparé par ses journées dans les fermes. Elle qui, recevait les gens et s'occupait de leur cidre.
L'arche (la maie) qui s'empoussière dans la grange, après avoir occupé tout mon enfance la place de l'actuel canapé, près de la fenêtre, elle ne la vendra pas non plus.
Sa femme de ménage ne vient plus qu'une fois par semaine, deux heures le vendredi matin. Mais la maison est propre, impeccable. Elle le sait, elle en est fière.
Sa cuisinière à gaz a vingt-cinq ans. (13 octobre 2002)

mercredi 22 décembre 2010

Simone #1

Simone, ma grand-mère, s'est éteinte, dans sa quatre-vingt seizième année, comme ils disent dans le journal. Elle était née dans la guerre, le 10 octobre 1915, la guerre qui devait engloutir son père, comme tant de jeunes hommes des campagnes. Elle a traversé ce terrible vingtième siècle, ne bougeant pratiquement pas de son petit bout de pays, de sa commune, y ayant élevé sept enfants. "Ma vie n'a pas toujours été belle, mais je peux sortir la tête haute", m'a-t-elle dit un jour où je passais la voir.
Aux Molles, j'allais en vacances quand j'étais petit. Puis l'adolescence, la première jeunesse nous avaient éloignés. Ce n'est que plus tard que je profitais de mon nomadisme pédagogique pour aller lui rendre visite plus régulièrement.

Aujourd'hui j'ai essayé de retrouver dans les journaux que j'ai parfois tenus ces dernières années les traces de mes passages. Je les livre ici, histoire de rendre hommage à une femme simple, mais qui fut, par son caractère, son courage et son intelligence, je ne crains pas de le dire, une femme d'exception.

Cahier Clairefontaine bleu, année 2000 :

Suis allé à Buxières pour une réunion, neuf élèves là-bas, la plaque des morts de 14 toujours accrochée sur le mur du fond, bref, c'est vite plié, j'ai une demi-heure devant moi avant d'aller à Mosnay pour ma seconde réunion, je suis tout près des Molles, j'y fais donc un saut (je n'ai pas rendu une seule visite à la grand-mère pendant les vacances). Son voisin M. est chez elle au moment où j'arrive. Il s'éclipse aussitôt. La grand-mère est en forme, elle se plaint simplement d'y voir de moins en moins bien. Des livres ? Sa femme de ménage lui en a apporté tout une pile, elle observe tout de même qu'ils sont écrits en trop petits caractères, elle lui en a redonné d'ailleurs, trop d'histoires de guerre, elle, ce qu'elle veut, c'est plutôt des histoires d'amour, ou de pays. (non daté)

***
La grand-mère Simone. La tante Thérèse m'avertit, à Bouesse, qu'elle est complètement démoralisée, qu'elle dit vouloir mourir, qu'elle était en larmes au téléphone. Doit souffrir des intestins. Aux Molles, elle ne m'offre pas un visage reflétant ces sombres nouvelles, non, elle sourit, elle se force sans doute à maintenir devant moi une certaine prestance. Certe, à la question sur son moral, elle répond "tout doux, tout doux", mais elle ne s'effondre pas. La solitude, c'est vrai, lui pèse de plus en plus, elle comprend bien que chacun a ses affaires, mais elle ne peut pas se résigner à cet ermitage, elle qui a élevé sept enfants dans un hameau qui, autrefois, grouillait de monde. La semaine dernière, je lui avais demandé si elle n'avait pas des photos du grand-père, des photos du passé et elle était allée dans la chambre chercher une enveloppe plastique : rien que des photos de mariage ou des agrandissements tirés de celles-ci, comme l'arrière-grand-père Bléron avec sa femme. Formidable ressemblance avec le pépé Lucien, mêmes yeux réduits à une fente, paupières lourdes, oreilles pointues. Sur plusieurs photos, Simone jeune, que je voyais jeune pour la première fois. Surprise : des grands yeux sombres, une certaine grâce sévère. La femme qui apparaît soudain et efface un instant la grand-mère ; la difficulté à faire coïncider les deux images. Le grand-père, lui, est le même que celui de mon souvenir. C'est presque à se demander ce que fait ce grand-père avec cette jeune femme. Quelle nécessité les raccordait ? Y avait-il de l'amour à ce moment-là ? J'aimerais qu'elle me raconte sa rencontre, mais que voilà un sujet difficile à aborder... (octobre 2000)

La petite maison des Molles

Et la grand-mère Simone qui chercha en vain à me joindre mardi soir. Elle sort juste d'un rhume de cerveau considérable, qu'"heureusement elle n'avait pas eu besoin de faire la cuisine pour le monde, que ça en aurait bien tombé dans la soupe tellement ça coulait" (retranscription bien approximative). Elle se plaint de l'eau qui coule dans le chemin jusque devant sa maison et son hangar. Deux causes : la construction d'un coin bétonné et bitumé pour placer des poubelles (les engins utilisés ont mis à mal une partie du carroir, le passage d 'un agriculteur dans un chemin en pente longtemps inutilisé : les roues de son tracteur y ont creusé deux ornières profondes où l'eau dévale sans obstacle. "Avant ton grand-père s'occupait de dévier l'eau vers un fossé de jardin en contrebas. Plus personne ne fait ça maintenant." Avant, les cantonniers entretenaient les fossés à la pelle et à la pioche. Maintenant ils ont des engins mais les fossés ne sont plus entretenus. Le grand carroir le long de la route est devenue une friche alors qu'il y a quarante-cinq ans c'était une vaste prairie où les gens comme elle (qui n'avaient que quelques moutons, deux ou trois chèvres) menaient paître leurs bêtes. Beaucoup de chemins sont comblés (ceux qui menaient à Montain par exemple).
Aux Molles, un seul couple jeune, avec deux enfants. Sinon, que des vieux. (Novembre 2000)

***
(...) je suis passé aux Molles, en coup de vent, porter deux nouveaux livres à la grand-mère. Elle me hurle d'entrer quand je frappe à sa porte (elle pense qu'il s'agit de M. son voisin, qui est un peu dur de la feuille). Elle n'a pas fini son livre, u Juliette Benzoni dont l'action se déroule en Orient. "Il faut aimer lire pour le lire celui-là, me dit-elle, il y a de ces noms..." Elle me le redonne, inachevé. Je me doutais bien que cela ne lui correspondrait pas mais je commence à épuiser le stock de livres en gros caractères de la bibliothèque municipale - qui est, fort heureusement pour elle, essentiellement constitué d'ouvrages de littérature régionale, histoire de paysans, de bergers, de destins campagnards et de fatalités rurales.
Elle m'offre un café. Je note que son petit four électrique est nickel (j'ai tant peiné à nettoyer le mien, saloperie de jexfour, et ce n'est pas parfait).
La solitude, elle ne l'a jamais autant sentie, éprouvée, que le premier jour de l'an. Tous ses voisins avaient déserté le hameau. Le temps fut terriblement long à s'écouler. La solitude se creuse de savoir les autres réunis pour la fête, d'être exclu de ce cercle communautaire, oublié du reste des humains. (2001, non daté)

***

Déjeuné chez la grand-mère. Elle m'a régalé d'une blanquette de poulet et d'une tarte aux pommes (et il a fallu que je ramène les deux éclairs au chocolat que j'avais pris ce main au Poinçonnet). En mangeant, j'ai essayé d'orienter la conversation sur les souvenirs, la vie d'autrefois, mais j'en ai été un peu pour mes frais et n'ai pas appris grand chose que je ne sache déjà : le grand-père, prisonnier en 40 et revenu en mai 45. Sa captivité en Autriche, dans une ferme où il n'était pas trop malheureux, mangeant comme les autres, ses gardiens. Il écrivait assez souvent (je n'ose lui demander si elle a gardé ces lettres, et pourtant comme j'aimerais les lire !). "Ma vie n'a pas toujours été belle, mais, comme on dit, je peux sortir la tête haute.", dit-elle, tournée vers sa cuisinière. Le facteur apporte le journal. "Aujourd'hui, j'ai un invité. C'est pas souvent." Et il y a comme une sorte de fierté dans son propos. Elle est heureuse que je sois là. Sentiment qu'elle ne pourrait pas exprimer quand on est né de la terre, que je n'attends d'ailleurs pas qu'elle exprime, qu'il me suffit de deviner, de saisir comme en cet instant, dans cette parole enjouée au facteur. (non daté)



Passage aux Molles. La vieille chatte, qui a 20 ans, et que je ne voyais presque jamais, dort sur le canapé. Elle qui ne rentrait pour manger que le matin, et demandait aussitôt à sortir ("elle poussait de ces miaulées !"), ne bouge plus de la maison. Est-ce le froid plus intense de ces derniers jours ? le pressentiment de la fin ? Le soir, la grand-mère la porte dans la grange,pour ne pas se lever dans la nuit pour la faire sortir. (2001, non daté )

(A suivre)

samedi 6 novembre 2010

Dans mon dos, on lançait des grappins

Dans mon dos, on lançait des grappins. En pure perte, je ne suis pas accessible. Beaucoup dévissèrent qui se croyaient mûrs pour m'atteindre.

Le renoncement n'est pas humain. Je sais qu'aujourd'hui encore des plans s'échafaudent pour me vaincre. J'ai beau me sertir de brumes, on multiplie les approches de reconnaissance, on me larde de pitons.

J'ai encore quelques crevasses en réserve pour châtier les imprudents.

dimanche 17 octobre 2010

Douze du monde

Réduction de voilure. Ce soir m'apparut avec évidence la nécessité de concentrer mon attention. Alluvions, mon univers Netvibes (public, mais je doute fort que quelqu'un d'autre y hasarde ses basques) était fort de plusieurs onglets et de plusieurs dizaines de sites épinglés au fil de mes navigations webiques. Le résultat est que j'étais d'une certaine façon submergé sous l'information, et surtout que je n'accordais aux meilleurs sites qu'une attention relative : je les survolais plus que je ne les lisais, car le temps d'une lecture profonde m'eût empêché de prendre connaissance d'autres sources d'information potentiellement fécondes.

J'ai décidé d'en finir avec cette course et de sacrifier le lièvre au profit de la tortue. Pour ce faire, j'ai entrepris de réduire à douze le nombre de fils RSS à suivre. Impitoyable sélection ; j'ai très vite éliminé les liens que je ne consultais presque jamais, ou qui finalement m'apportait bien peu de choses, puis j'ai supprimé les fils que je retrouve immanquablement avec la veille sur Twitter (Affordance, Tiers-Livre, Poezibao par exemple), j'ai enfin tout regroupé sur un seul onglet et procédé à l'ultime désherbage.

Résultat : trois sites sur quatre colonnes. J'ai appelé ça douze du monde. Et j'en ai éprouvé un vif soulagement. Bien sûr, je raterai certaines choses intéressantes, mais il faut se résigner à ne pas embrasser le monde dans sa totalité, se résigner à abandonner certaines des options qu'il nous offre, et je dirais même la plupart. Mais c'est pour mieux se concentrer sur ce qui vaut la peine, sur ce qui vous nourrit convenablement (et qui n'est pas forcément le plus chargé de pensée haut de gamme : j'ai ainsi gardé François Matton et le Tampographe Sardon, qui n'entrent certes pas dans cette catégorie mais qui m'offrent de précieux petits moments de régal esthétique ou de cocasserie déjantée).
Je suis d'autant plus conforté dans cette démarche que lisant le dernier article de Pileface, un des douze retenus, je tombe sur cette citation de Sollers citant lui-même Voltaire :

« Voltaire disait toujours : « Douze, ça suffirait. » De loin. Douze apôtres, croyez-moi, ça fait du bruit. Être ensemble pour être ensemble n’est pas un objectif qui me paraît soutenable. »
Ph. Sollers, « Il suffit d’être douze », Discours Parfait.


Coïncidence parfaite, telle que je les aime. J'en finirai là pour aujourd'hui.



vendredi 8 octobre 2010

Les pleureuses d'Antarctique

Elles me contactèrent en septembre : elles avaient entendu parler de mes sanglots (à l'époque, j'en modulais de fort longs qui m'attiraient un public fervent et fidèle). Nous nous accordâmes en tous points : le contrat courrait jusqu'au sixième solstice, treizième lune comprise. La tournée fut mémorable, nous inondâmes de larmes plusieurs bourgades jusque là mal desservies par le malheur. On nous prédisait un avenir brillant ; les grandes métropoles nous réclamaient à cors et à cris. Et puis il y eut cet incident stupide.

L'incident stupide

Nul n'aurait pu le prédire. Plusieurs chaînes causales avaient fait le chemin pour lui. En toute inconscience des effets désastreux de leur rencontre tout à fait fortuite. Personne n'avait tiré la sonnette d'alarme. Quand il me fut donné de pouvoir le faire, ce fut en pure perte : l'irréparable avait eu lieu.

(Février 2003)

mardi 7 septembre 2010

Sauras-tu dire aussi

sauras-tu dire aussi la joie
qui parfois
se lève
dans les interstices

le calme gisant
dans les heures
enlevées délicatement
au sommeil

dans la pluie
caressant
l'intimité
d'une huisserie

dans la main petite
se glissant
à l'intérieur
de ta paume


10/12/2009

dimanche 29 août 2010

Laisser l'ombre

Laisser l'ombre remonter la falaise
plonger sa paume dans les vasques du temps
recueillir la rosée à la nuque de silex

Laisser l'ombre s'endormir entre tes genoux
reprendre ton souffle caresser ta glaise
se blottir au berceau des tilleuls

Que tout s'éteigne que toute lampe
abdique son royaume de nuit
et se retire au profond de tes veines

Que tout se trouble et se disperse
que se dilue toute rumeur
au cri aride des ornières

Que tout ne soit plus rien
qu'un tout qui se déchire
dans une trouée sans retour

N'entendre plus que l'infime
glissement d'une
lauze le dénivelé d'une larme

la lente coulée de la sève
Et ne sentir plus que les embruns
asséchés du silence

samedi 14 août 2010

La Sed

Elle vient du fond des nuits pâles
elle sourd de la hanche des glaciers
elle a franchi tous les biefs

C'est le dernier désir d'un mélèze
le regret d'une anguille
le lit vivant de la fièvre

Elle arrive dans sa nuit d'obsidienne
sa fureur s'épanche au feu de nos reins
elle s'inondera au-delà de nos fiefs

Fresselines, le confluent, 10 août 2010

En espagnol, la
sed est la soif.

vendredi 30 juillet 2010

La nuit des brigands


Comme un large coup de hache éventrant le ciel
coup pourtant d'une improbable douceur
qui nous happe d'un seul murmure
Comme un souffle emportant tout le savoir passé
un vent venu de l'intérieur
chasser les remugles de l'autrefois
Comme une éruption silencieuse tapie dans les regards
la coulée invisible d'une lave
recouvrant nos chairs d'une onde noire

C'est un corps qui se love dans mon désert
c'est un sarment de fièvre qui s'innerve à mes phalanges
une falaise qui s'éboule à mes poignets noyés

C'est une barque qui tangue dans l'obscur
c'est la soie d'une chevelure que je froisse infiniment
une clarté de nuage au firmament des orties

C'est la longue clameur de l'aube
c'est le chuchotis secret d'une source
le feu mouillé d'un fruit qui se déchire

Comme une lune qui aurait tout oublié
comme un fragment de ténèbre détaché du néant
que nos yeux auraient perçu l'espace d'un instant
Comme une grâce qui tombe prune mûre
se blessant sur l'herbe ébahie de rosée
et que je sauve dans le repli de ma paume
Comme si le rêve n'avait été qu'interrompu
ses images recousues dans la coulisse du temps
Comme si nous en avions enfin trouvé la porte dérobée

dimanche 16 mai 2010

Herbes et cerisiers


A Chapitre Nature, au Blanc,
écouté la lecture de Sylvie Durbec, sur fond de harpe gracile défiant le brouhaha du salon.
acheté l' Encyclopédie poétique et raisonnée des herbes, de Denise Le Dantec, car l'ouvrant au hasard de ses quelques huit cents pages, je suis tombé sur une citation de Gustave Roud, suivie d'un extrait de Philippe Jaccottet, et que j'aime que la science et la poésie accordent leur marche et s'éclairent l'une l'autre

Extrait de PRENDRE place, une écriture de Brenne (éditions Collodion):

JEUNES MORTS

On a scié le tronc des cerisiers
en fleurs de leur premier printemps
Le pré est jonché de jeunes allongés
dont personne ne mangera les fruits

Sur le chemin des morts couchés
ce matin a fleuri l'églantier
On s'étonne de tant de beauté
et voilà la mort qui passe au pré

Ces troncs décapités encore adolescents
disent mieux que des mots savants
ce qui est à l'oeuvre dans le paysage
et le plus souvent l'oeil ne m'aperçoit pas
ce qui est à l'oeuvre et tue et ruine

Ce n'est pas le vent qui les a couchés net
ni le froid ni la neige
pas le vent coulé glacé sur la plaine
comme un assassin de l'amour
non
c'est la main infatigable des vivants

vendredi 30 avril 2010

Pierre Hadot

«La philosophie n'est pas une construction de système, mais la résolution une fois prise de regarder naïvement en soi et autour de soi.» Définition de la philosophie et du philosopher, à mes yeux, toujours valable! C'est que la philosophie n'est pas avant tout une activité théorique et abstraite, mais un nouveau mode de perception, que Bergson qualifie de «naïf», au sens où l'artiste regarde sans a priori la nature, en se libérant des habitudes et des intérêts égoïstes qui nous empêchent de voir la réalité telle qu'elle est.

Pierre Hadot (mort dans la nuit du 24 au 25 avril, à l'âge de 88 ans).

lundi 26 avril 2010

On me pressait d'embarquer


On me pressait d'embarquer

Les nuages avaient, semblait-il, desserré

leur étreinte


Une trouée était, m'assurait-on, perceptible

Les amarres furent larguées

La côte rapidement oubliée


Mais quand je me

retournai

j'étais seul

dans le noeud coulant

des nuages




mardi 6 avril 2010

Alluvions ( Théodore Monod)

J'aime à me donner des contraintes, à me fixer des programmes de lecture, mais il est bien rare que je ne m'affranchisse pas des premières et que je ne bouscule pas les seconds. Un livre vient-il à faire signe que je puis abandonner séance tenante ce passionnant volume que je me promettais si fort de finir avant telle date. C'est une semblable impulsion qui me jeta la semaine dernière vers Méharées, le célèbre livre de Théodore Monod. Pas une nouveauté, comme on voit, et que depuis dix ans j'eusse pu me saisir aussi bien, puisqu'il ne reposait pas en quelque malle oubliée ou rayonnage empoussiéré, mais bien plus simplement dans la bibliothèque de mes beaux-parents, celle du salon qui, sans être étique, n'est pas colossale. Mon regard a dû glisser cent fois sur l'ouvrage sans daigner s'y attarder. Que s'est-il passé pour que cette fois je l'extrais de l'étagère et décide de l'emprunter ? Personne ne m'a parlé de Monod récemment. Mais c'est peut-être les images de ses cahiers de voyage, reproduits dans un CDrom pédagogique et vues à plusieurs reprises ces derniers mois qui ont allumé la petite étincelle de curiosité. Peut-être.


Je viens en tout cas d'en achever la lecture, et j'ai été surpris et ravi par la modernité de la narration, sa vitesse, sa fluidité, par l'humour aussi, l'ironie qui courent à travers les pages, humour et ironie auxquels je ne m'attendais pas (je n'aurais pas été étonné si la prose avait été austère et quelque peu hiératique et empesée).

Pour saluer l'écrivain et le savant, et garder souvenir de ce moment de lecture, je veux placer ici extrait de l'avant-dernier chapitre, où il parle des fleuves sahariens, qui n'atteignent jamais la mer. Pour moi, longtemps, le fleuve a coulé de sa source à la mer, l'école nous avait appris ça comme si nulle exception n'était envisageable, indiscutable dogme, destin invariable des cours d'eau que de finir à l'océan ; et quelle ne fut donc pas ma surprise de voir un jour sur une carte - c'était celle de l'Australie - que des fleuves, surgis du giron des montagnes, pouvaient disparaître avant la côte.

Je veux noter aussi ce passage parce qu'il contient le nom même de ce blog, et en fait briller le sens même :

"Nous savons bien - pour avoir entrevu, ça et là, dans nos vallées, quelques graviers, une couche de limon, un banc de sable - que les fleuves ne transportent pas que des matériaux dissous et ont un "débit solide", mais l'importance de celui-ci nous échappe parce que la mer le reçoit ; le résultat de la décantation nous demeure invisible.
Au contraire, les fleuves sahariens ont été -au moins les derniers - des fleuves de bassins clos, sans débouché maritime, se jetant dans des zones d'épandage marécageuse dont le lac Tchad offre une excellente image.
Dans cette cuvette plate, ils accumulaient des sels dissous, tout prêts à se cristalliser par évaporation, et des alluvions ; celles-ci sont insolubles, elles demeurent où la crue les a déposées, peu à peu colmatent leur "tchad", exhaussant ensuite le niveau de base du cours d'eau dont la pente et la vitalité diminuent.Le fleuve étouffe, il agonise, il va périr axphyxié par ses propres alluvions : un suicide."

samedi 3 avril 2010

Charlatan


phrase fracassée aux arêtes du songe
songes-y et arrête ton char charlatan
qui nous paraphrase et nous ronge
les sangs bleus qui assèchent le temps

didgeridoo docile et rugissant
qui dans mon coeur désert s'allonge
ranime de son souffle le sang
qu'a grand peine j'éponge

et quand à ton tour tu plonges
dans le concert nocturne des ruminants
charlatan dans la fièvre des oronges
nous nous perdons dans ton envoûtement

lundi 29 mars 2010


Marbre photocopié
Et là-dessous des mots
Donnés contre l'ennui
Contre le temps dressé
Comme un gardien de prison

Pyjama rayé
Et là-dessous une peau
Plaquée contre la nuit
Contre le souci pressé
Comme une rime sans raison

13 décembre 2000

samedi 13 mars 2010

Ce qui se nappe

Je commence à extraire ici des poèmes griffonnés dans le carnet Zap Book bleu.


ce qui se nappe
danse
se silence

ce qui s'étoile
se voile
se vente

à la tanguée des nuits

(tu te lèves ou te loves
dans le fauteuil vert
d'où sort une mousse beige)

premières nuits givrées
alpées
vautrées

à la reculée des regards

dans l'endormie
la glaise et le seigle
la souille et la braise

(sur le pont à Neuvy
un samedi après-midi)

ce qui surgit
salit
subit

ce qui s'encorne
se borne
s'étrogne

la page grise du brouillon
qui s'éloigne à l'aurore

(je te rejoins bientôt)

9/12/2000

Et je suis extrêmement surpris de constater que ces poèmes ont déjà plus de dix ans d'âge.

dimanche 7 mars 2010

Dans la terre poursuivie de l'attente

Reçu de Nadine voici quelques semaines deux belles photos du Marais Poitevin. Champs de maïs en partie inondés composant une sorte de tablette emplie de signes cunéiformes. Je venais juste de découvrir les Cinépoèmes de Pierre Alferi, et je me suis amusé à monter ces deux photos avec un ancien poème d'Alluvions.