mardi 31 janvier 2012

Cécile Reims

Une vieille dame de 84 ans, une grande artiste, graveur de Hans Bellmer et de Fred Deux, mais auteure aussi d'une œuvre personnelle dont le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme présente une rétrospective jusqu'au 11 mars 2012.
Je viens de l'écouter dans l'émission d'Alain Veinstein sur France-Culture, Du jour au lendemain. Qu'on peut réentendre ici.
Fred Deux et Cécile Reims vivent à La Châtre depuis 1985.
Matthieu Chatellier leur a consacré un film en 2010. Voir ce que devient l'ombre.
Bande annonce VOIR CE QUE DEVIENT L'OMBRE from nottetempo on Vimeo.

mercredi 18 janvier 2012

Dessiner tout le temps

Paul Cox :
C'est bien de dessiner tout le temps. J'ai pour habitude quotidienne, quoi qu'il se passe, de dessiner au moins une heure par jour, ce qui me passe par la tête d'une part, et des dessins d'observation d'autre part. C'est une manière d'entretenir cet état de conscience différent qu'impose l'activité du dessin, exactement comme un musicien travaille chaque jour son instrument (pardon de citer une nouvelle fois "Le maître ignorant" de Jacques Rancière, qui évoque "le travail inlassable pour plier le corps aux habitudes nécessaires, pour commander à l'intelligence de nouvelles idées, de nouvelles manières de les exprimer; pour refaire à dessein ce que le hasard avait produit, et retourner les circonstances malheureuses en chances de succès..."). Tous les problèmes de l'homme viennent de ce qu'il s'arrête en chemin. Le Corbusier parlait de la notion, qui lui paraissait essentielle, de "continuité quotidienne".
Je ne suis pas dessinateur, mais de temps à autre, il me plaît de dessiner, sur la page blanche du carnet qui fait face à celle où j'écris, où parfois je colle une photo, un prospectus, un ticket, la trace quelconque d'une visite. Parfois c'est donc un dessin, le plus souvent une reproduction, une copie d'un dessin existant, et je prends beaucoup de plaisir à cet exercice, même si le résultat n'est pas terrible.
J'aime que mes enfants dessinent. J'espère qu'ils dessineront encore longtemps, et même qu'ils dessineront toujours, ne serait-ce qu'un peu, comme moi, à l'occasion. Tous les enfants dessinent, et puis un jour, pourquoi ? ils ne dessinent plus. Et c'est un peu d'enfance qui se fait la belle.
                                                        Mittens (Violette, janvier 2012)

mardi 17 janvier 2012

Ce que je fais m'apprend ce que je cherche

Je me prends au jeu, au "jeu de construction" de Paul Cox, dont je parlais hier, et dont j'ai décidé de lire chaque jour quelques-uns des articles du blog, de l'amont vers l'aval. J'en aime le ton modeste et enjoué, et l'érudition tranquille :
J'aime trouver ainsi et adopter des formes dont je n'avais pas l'idée au moment de commencer à travailler. On me pardonnera mon usage des citations, mais je ne résiste pas à l'envie d'écrire ici ces mots de Paul Klee qui font partie de mes phrases de chevet: "Ce que je fais m'apprend ce que je cherche". C'est-à-dire: travailler non pas en cherchant à exécuter une idée entièrement préconçue et prévisualisée (à supposer que cela soit possible), mais construire "de l'intérieur", à partir d'un matériau choisi, d'une idée générale, d'une sensation, voire d'une contrainte ou d'une règle du jeu, mais à condition d'être prêt à transgresser cette règle si chemin faisant le besoin s'en impose. C'est ce que disait Le Corbusier qui, parlant du Modulor, cette unité de mesure basée sur les proportions du corps humain et qui permettait d'infinies combinaisons (un peu comme le tangram ou bien sûr les tatamis de l'architecture japonaise), invitait à ne pas strictement en respecter les règles (introduire du jeu dans le jeu!) si, une fois l'inspiration mise en route (et le feu mis aux poudres), l'oeuvre se développait toute seule en suivant sa propre logique.


lundi 16 janvier 2012

«Je ne dis les autres que pour mieux me dire moi-même»

Carnet Mondrian (suite), 7 mai 2011.

"Cynthia Fleury, La Fin du courage, Fayard.

"Le sujet peut bien être fragmenté, synonyme de plusieurs âmes, traversé par nombre de sentiments contradictoires, il n'en demeure pas moins que la séance tenante du courage crée l'illusion de l'unité ou de la cristallisation." (p. 47)


"Le courage, d'une certaine manière, c'est déjà cela : cette injonction de compresser le dispersé en soi, à créer l'unité du moi -certes illusoire mais pourtant si opérative. L'autre nom d'un rendez-vous avec soi-même." (p. 48)

"La fin du courage politique ou moral signe l'émergence du ça pulsionnel, infantile, non distancié d'avec soi-même et producteur des barbaries les plus triviales et assourdissantes." (p.56)

"Le sage, encore qu'il se contente de lui-même, veut pourtant avoir un ami, ne serait-ce que pour exercer son amitié, afin qu'une vertu si grande ne reste pas inactive (...)" Sénèque, Lettre à Lucilius, IX.

Sur la terrasse, dans la brise tiède
qui agite les feuillages
du prunier et des lauriers
 
***
D'un tel collage de citations, on se demande toujours si cela peut avoir une utilité. Traces d'une lecture fervente, ces phrases ont été écrites dans le carnet comme pour être mieux assimilées. En fait l'oubli passe très vite, les efface comme aiguilles sur la dune. Les reprendre là sur ce blog, c'est leur donner une nouvelle chance, de persister en mémoire ou d'ensemencer d'autres champs. Un autre peut-être y trouvera l'écho d'une recherche personnelle.

De l'usage des citations, je découvre aujourd'hui une réflexion sur Jeu de construction, le blog que Paul Cox a tenu en 2005, lors d'une exposition à Beaubourg (merci à Camille G. pour le lien) :
Sans doute y aura-t-il dans ce journal beaucoup de citations. Par exemple le titre de ce premier chapitre en comporte une. Je ne suis pas sûr de l'exactitude de ces citations, car elles seront le plus souvent faites de mémoire. La citation, c'est une excellent «prétexte» (ce qui vient avant le texte, ce qui amène le texte). Un auteur que j'aime plus que tous, Montaigne, et qui faisait grand usage de citations, s'en expliquait ainsi : «Je ne dis les autres que pour mieux me dire moi-même». Et j'ai lu récemment que Jacques Lasalle, un homme de théâtre que j'aime beaucoup aussi, dispensait son enseignement à partir de citations, qui lui servaient de tremplins pour développer sa propre pensée.
Et je ne résiste pas à l'envie de citer ce second passage :

(...) j'ai collé dans un coin cet incroyable juxtaposition du visage de Harpo et d'une gargouille de la cathédrale d'Autun, non loin de laquelle je passe pas mal de temps, dans mon atelier de campagne.



La ressemblance est troublante! C'est amusant d'essayer de toujours tout comparer, de faire des rapprochements inhabituels entre ce que l'on observe et ce que l'on conserve dans sa mémoire.
Je suis en train de lire, sur la recommandation de mon cher ami Alain Goulesque qui dirige l'école d'art de Blois, dont je reparlerai certainement sous peu car un projet m'y attend bientôt, le merveilleux livre de Jacques Rancière "le Maître ignorant", et je tombais tout à l'heure sur ces mots: "l'élève doit tout voir par lui-même, comparer sans cesse et toujours répondre à la triple question: que vois-tu? qu'en penses-tu? qu'en fais-tu? et ainsi à l'infini."


jeudi 12 janvier 2012

La Fin du courage


Carnet Mondrian (suite), 7 mai 2011.

"Cynthia Fleury, La Fin du courage, Fayard.
"On juge le courage d'un homme à ses peurs, celles qu'il sait éviter et celles qu'il sait garder."(p. 18)

"Même courageux, il faut apprendre à l'être plus régulièrement, sans discontinuer. Pratiquer le courage sans excès, mais avec endurance. Le courage toujours plutôt que le trop de courage. Apprendre à tenir le courage comme on tient la douleur. Et c'est là sans doute que la vitalité est nécessaire, que l'intelligence du dehors, le sens de l'environnement, son analyse, sont valorisés : il faut comprendre ce qui est susceptible d'inhiber ce courage. Apprendre aussi à calculer le prix du non-courage." (p. 18)

L'inverse du kairos. Roquentin (La Nausée, p. 106).
"Moi, je ne sais pas profiter de l'occasion : je vais au hasard, vide et calme, sous ce ciel inutilisé."

"En moraliste modeste, Montaigne sait qu'il existe des cycles et que tous les "temps" ne se valent pas : "Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon"."(p. 28)

"(...) l'ennemi du courage est le découragement car il est ce contre quoi il faut sans cesse lutter. Le courage est sans victoire." (p. 34)

Le livre est maintenant disponible en poche. Ça vaut ses six euros cinquante.

lundi 2 janvier 2012

les miens vuz je rendrai en l'esguart des cremanz lui

J'ai un peu de mal avec les vœux. Il est facile de constater que la modernité a boosté le phénomène : avant, il vous fallait acheter ou réaliser à la main des cartes idoines, les écrire, les poster, rude tâche, chronophage, qui vous conduisait à une sélection impitoyable des destinataires - grands-parents éloignés, tantes à héritage, amis de longue date, créanciers à ménager...-, au lieu que maintenant, emails et sms ont considérablement réduit le boulot. Une seule carte, un seul message envoyé to undisclosed-recipients et le tour est joué. Le problème, c'est bien sûr de faire preuve d'originalité. Une carte virtuelle personnalisée peut bien sûr faire l'affaire, mais c'est un minimum. Beaucoup préfèrent adjoindre le message d'une photo plus personnelle, souvent familiale et souriante, ou mieux, d'une animation pétaradante et explosive.
Certains misanthropes jugent cela de la dernière hypocrisie, mais je pense sincèrement qu'ils ont tout faux. L'immense majorité des gens qui vous envoient des vœux sont tout à fait sincères. La question n'est pas là. Mais il y a là-dedans quelque chose d'étrange, que l'on réfléchit peu, voire pas du tout. C'est qu'à l'origine, un vœu c'est quelque chose de fort, l'origine de la chose est religieuse. Prononcer des vœux c'était s'engager pour la vie. C'était une promesse à la divinité. Lentement le sens du mot s'est adouci jusqu'à ne plus désigner que cette espèce de souhait sans conséquence qui pousse comme chiendent en janvier. Sans conséquence, parce que l'on sait bien que ce souhait n'a aucune efficacité. Malgré les milliards de sms et mails échangés, 2011 a été une année aussi pourrie que les autres. On va dire alors que cela témoigne d'une attention, d'un égard pour le voisin, l'ami, le parent. Un signe qui ne mange pas du pain.
Oui, bien sûr, mais c'est peut-être là ce qui me gêne dans cette avalanche actuelle de vœux, c'est son extrême facilité, son innocuité. Le vœu au sens premier engageait votre responsabilité, déterminait votre vie. Au sens actuel, il vous dégage plutôt de vos devoirs, si tant est qu'on conçoive encore que l'on ait des devoirs. Je te souhaite beaucoup de bonheur, mais que fais-je le reste de l'année pour faire lever un peu de ce bonheur ? Cette attention du début de l'année ne vaut que si elle est suivie au moins de quelques autres au fil des mois.
J'arrête là, car je sens que je vire au sermonneur (de là peut-être mon irrésistible propension à monter dans les chaires dès que je visite une église).
Car s'il y a une chose qu'il faut absolument souhaiter à chacun, c'est de garder le sens de l'humour. Un bel exemple, avec cette vidéo reçue cet après-midi, de ChabProd.

J'adresse bien entendu tous mes vœux à mon lectorat fidèle et infidèle.

Titre du billet : Extrait de ce passage du CNRTL : Prononc. et Orth.: [vø]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1re moit. xiie s. « prière de louange, de supplication adressée à Dieu » (Psautier de Cambridge, éd. Fr. Michel, XXI, 26: les miens vuz je rendrai en l'esguart des cremanz lui; LX, 8; CXV, 9); 2. a) id. « promesse faite à Dieu pour une requête exaucée » (ibid., LXV, 11: je rendrai a tei mes vuz, Lesquels promistrent a tei mes levres [en réf. à l'exil de Babylone]; CXXXI, 2: David [...] Ki jurad al Seignur, vut vuad al Puissant Jacob [au sujet de l'Arche]); 1130-40 faire [un] vo (Wace, Conception N.D., éd. W. R. Ashford, 210); b) 1403 « ex-voto » un veu d'or (doc. ds Laborde, Notice des émaux du Louvre, t. 2, 1853, p. 541); fin xve s. (Commynes, Mém., VI, 6, éd. J. Calmette, t. 2, p. 293: ses veuz et ses offrandes et reliquaires [...] et chasses);(...)