vendredi 29 juin 2012

Pigeons et hirondelles

Allez, il faut que je boucle la série : dernière conversation d'Alain Cavalier. Ce n'est pas la moins émouvante : il remercie les spectateurs de la Cinémathèque, puis filme encore une fois de sa chambre d'hôtel, qu'il va abandonner, avec un long plan sur les "merveilleux nuages". Il a revu tous ses films, il dit qu'il sait un peu mieux qui il est, il dit aussi qu'il lui reste un petit coin à arpenter.



9 mai 2012 - Conversation avec Alain Cavalier à... par lacinematheque

Le théâtre commence à m'occuper beaucoup, mon temps, mon esprit surtout, même si d'autres préoccupations restent fortement présentes. Alluvions va donc très certainement faire une pause estivale, car Les Misérables 62 vont prendre toute la place.

Comme Cavalier finit par un plan de deux pigeons ("je quitte ma chambre d'hôtel sur l'amour"), je finis provisoirement par cette photo d'un nid d'hirondelles, occupé, surpris aujourd'hui vers midi, dans une rue de Cluis.




mercredi 20 juin 2012

Topographie de la mélancolie


7 mai 2012 - Conversation avec Alain Cavalier à... par lacinematheque

Avant-dernière conversation, où Cavalier évoque le bourdon, le blues qui l'a saisi après la projection de Mise à sac. La plupart des acteurs du film ont disparu, et de ceci il ne se remet pas. Il conclut tout de même en disant, sèche-cheveux pointé contre la tempe  : "J'ai présenté 17 de mes films, deux par jour, et je crois que je ne me suiciderai pas".

Cette mémoire des disparus, cette émotion devant la destruction, c'est proprement la visée de l’œuvre de W.G. Sebald, dont je veux signaler le dossier paru dans le dernier Matricule des Anges, sous-titré "Topographie de la mélancolie".

Signaler aussi, pendant que j'y suis, l'excellent blog consacré à Sebald, et qui a nom Norwich, la ville anglaise où vivait l'écrivain.

La Châtre - Avril 2011


mardi 19 juin 2012

Les essais c'est tout


6 mai 2012 - Conversation avec Alain Cavalier à... par lacinematheque

Un long plan devant la glace de la salle de bains, à une heure et demie du matin, après la projection de Thérèse.. Cavalier mange une barre vitaminée, boit de l'eau piquante, et parle, et comme d'habitude les détails les plus familiers se mêlent aux considérations plus générales sur l'art et le cinéma. A 6' 40'', il évoque à nouveau Giacometti qui fréquentait, dit-il, le même bar de nuit. Il cite une page publiée en fac-similé dans les Ecrits, qui conclut par ces mots : Les essais c'est tout - Oh merveille !

L'affirmation forte à la fin qu'il a été tout entier dans son cinéma, qu'il a été vraiment dans chaque plan qu'il a tourné.


Je cherche une image en contrepoint, et m'attarde sur celle-ci :



Le four de la boulangerie, à La Font du Four, la ferme natale, où l'on cuisait le pain de la semaine. Remis en fonction lors d'une randonnée organisée par le voisin, Dédé Aubret. Un ouvrier boulanger à la retraite y fit cuire des galettes. Je ne les aurais pas échangées contre les barres vitaminées de Cavalier.



mercredi 13 juin 2012

Mise à sac et désolation de l'âge


6 mai 2012 - Conversation avec Alain Cavalier à... par lacinematheque

Le soir des présidentielles. La cinémathèque présente Mise à sac, tourné en 1967. L'occasion d'un hommage à Michel Constantin, qui fut ouvrier chez Renault et champion de volley-ball avant d'être acteur, et qui refusait les films où il y avait une histoire d'amour avec une femme, car il aimait trop la sienne pour supporter la fiction d'un autre amour.

Cavalier assure dans sa conversation qu'il aurait fait un très bon voleur.

Fini lundi soir le troisième Carnet de notes de Bergounioux, qui s'achève sur l'encourageant paragraphe suivant :

Mitch appelle en matinée. Son état s’est amélioré. Il a pu reprendre une partie de ses activités. L’après-midi je passe à Goody– Le vol de l’histoire, dont j’avais lu la moitié. Mais le malaise de la matinée m’a amoindri. Le ciel bas, la froide grisaille  font écho à la désolation de l’âge qui est désormais le mien.

Rose solitaire



 Comme pour faire pièce à la noirceur corrézienne.


lundi 11 juin 2012

Sois sage, ô ma Douleur

Peut-être est-il dangereux de côtoyer les sphinx ? Peu après avoir posté mon dernier billet, mardi dernier, j'ai été saisi d'une grande fatigue. Elle a duré jusqu'à dimanche, accompagnée de fièvre et de rêves délirants. Mon délire ne prend pas une forme psychédélique, il ne joue pas sur une profusion d'images plus ou moins fantastiques. Non, rien de plus abstrait et de plus desséché que le mouvement qui m'emprisonne l'esprit : ce sont raisonnements sans rationalité, bouclés sur eux-mêmes, infiniment ressassés, comme si les circuits neuronaux tournaient à vide. Le sommeil ne trouve nulle part où se loger. La volonté se recroqueville, il faut faire un intense effort sur soi pour seulement même rallumer la lumière et boire une gorgée d'eau. Et, à peine recouché, on retombe dans la spirale délirante.

Une nuit, n'en pouvant plus de ce chaos, de cette confusion, j'ai décidé de me remémorer un poème. Celui qui me vint spontanément, ce fut Recueillement de Baudelaire, Sois sage, ô ma Douleur et tiens-toi plus tranquille... Je l'avais appris par cœur voici quelques années, mais quelques vers me manquaient. Je me le redonnais dans la tête, patiemment, et petit à petit je recousus la totalité de l'admirable sonnet. Et force de la poésie, mon esprit tourmenté s'était apaisé au fil de ce travail de remembrance.

Bon allez, retour à Cavalier (je suis bien décidé à aller jusqu'au bout de sa série de conversations).


5 mai - Conversation avec Alain Cavalier à la... par lacinematheque

Dans cet opus, filmé une nouvelle fois dans sa chambre d'hôtel, Cavalier évoque ce qui fut un moment particulièrement fort de cette rétrospective, la projection de L'étrange voyage, tourné en 1980, avec Jean Rochefort et sa propre fille, Camille de Casabianca. Sur le film (que je n'ai jamais vu), on peut lire avec profit le bel article d'Olivier Bitoun sur Dvdclassik.

Pratiquement un seul plan dans cette conversation de 7' 32. La caméra est plantée devant le téléviseur de l'hôtel, branché sur CNN. Alain Cavalier fait allusion à cela à la fin du film : il se retient à peine de rigoler. C'est que cette cascade de reportages, au montage speedé, ébouriffant, est si manifestement à l'inverse de son cinéma que cela est bien sûr un effet de contraste voulu.

Le Blanc, août 2008



mardi 5 juin 2012

Le jongleur et le sphinx


5 mai (2) - Conversation avec Alain Cavalier à... par lacinematheque

Jour 10. Cavalier s'adresse aux internautes, se filmant dans la salle de bains de la chambre d'hôtel, insistant sur les détails du quotidien, sa myopie, la vitamine qu'il prend la matin, le sac noir qui contient la caméra, etc. et puis il montre les deux livres qui ont joué un rôle fondamental dans sa vie : les Ecrits sur l'Art de Matisse, et les Ecrits de Giacometti.

Je n'ai pas lu le Matisse mais le Giacometti, oui. L'ai acheté à l'occasion d'une exposition de ses œuvres au Musée des Beaux-Arts de Lyon, le 2 mars 1995. C'est aussi dans ce musée que j'ai découvert le Jongleur de Bourges, cette extraordinaire sculpture que j'aime si fort que j'ai tenu à en faire l'emblème même de ce site.

J'avais lu Ecrits juste après ma visite. Très forte lecture, mais je n'y suis jamais revenu, personne ne m'en a jamais parlé. Et puis Cavalier, ce soir, après les verres de contact et la barre vitaminée, ce trivial qui soudain ouvre sur le sublime.

Juste un petit extrait, qui résonnera pour certains, j'en suis sûr, le début d'un texte intitulé Le rêve, le sphinx et la mort de T., paru en décembre 1946 dans la revue Labyrinthe, n°22-23 :

Effrayé, j'aperçus au pied de mon lit une énorme araignée brune et velue dont le le fil qu'elle tenait aboutissait à la toile tendue juste au-dessus du traversin. "Non, non !" m'écriais-je, "je ne pourrai pas supporter la nuit une pareille menace au-dessus de ma tête, tuez-la, tuez-la" et je dis ceci avec toute la répugnance que je ressentais de le faire moi-même dans le rêve comme à l'état de veille.

 Henri Michaux écrit le poème Labyrinthe dans Epreuves, exorcismes, publié cette même année 1946.
Labyrinthe, la vie, labyrinthe, la mort
Labyrinthe sans fin, dit le Maître de Ho.
Tout enfonce, rien ne libère.
Le suicidé renaît à une nouvelle souffrance.
La prison ouvre sur une prison
Le couloir ouvre un autre couloir.
Celui qui croit dérouler le rouleau de sa vie
Ne déroule rien du tout.
Rien ne débouche nulle part
Les siècles aussi vivent sous terre, dit le Maître de Ho.
J'ai trouvé ce poème, en recherchant des traces sur le net de ce Labyrinthe suisse, sur un blog nommé Beauty will save the world. La page d'accueil, à la date du 25 mai 2012, ouvre sur Fernando Pessoa, De l'art de bien rêver, où l'on peut trouver cette phrase :

Deviens aux yeux des autres un sphinx absurde.

lundi 4 juin 2012

Dans Husserl jusqu'à Châteauroux

Pierre Bergounioux, Carnet de notes, 5 mars 2010 :

 [...]  Ne peux m'empêcher d'éprouver un soulagement étrange, exagéré lorsque le Téoz quitte Austerlitz à deux heures. C'est qu'à deux mois d'ici j'avais tenté, par trois fois, l'aventure et qu'elle avait mal tourné. Je me plonge dans Husserl jusqu'à Châteauroux, où je passe à la Grammaire du français parlé. Gêné en fin de parcours par les jeux de lumière, dans les gorges de la Vézère. [...]

Je pense que ce jour-là je ne fus peut-être jamais aussi proche de l'écrivain, physiquement s'entend, car les trains passent le long de la rue de la Fosse-Belo, à deux cents mètres de la maison. Mon agenda de l'époque me signale que je lisais, non pas Husserl (jamais lu, trop intimidant), mais Julien Green (Le grand large du soir, Journal 1997-1998) et J.M. Coetzee (Journal d'une année noire).


Soir, noire, Renoir. Le 4 mai 2012, Cavalier intitule sa conversation La rue de la Honte. Il s'agit d'une rue bordant la cinémathèque, une rue vide, anémiée. On l'a nommée Rue Jean Renoir. "Lui le divin, lumineux, agile, on lui donné ça..."





4 mai 2012 - Conversation avec Alain Cavalier à... par lacinematheque

Porte de garage - Rue de la Fosse Belo

vendredi 1 juin 2012

Ferrailles et attracteur étrange

Hier j'ai hésité à parler d'un autre hasard objectif, qui s'est produit au moment même où je postais le billet Cavalier avec ma herse rouillée en contrepoint. Comme par crainte de trop en faire sur ce chapitre, comme s'il ne fallait pas trop solliciter le hasard. J'oubliais en réalité qu'il en a toujours été ainsi avec les hasards malicieux que je croisais sur ma route : ils déboulaient par vagues, par constellations, avant de se rétracter dans le silence sur de longues périodes, à tel point que j'ai forgé la notion -empruntée à la théorie du chaos - d'attracteur étrange. Cavalier me sert en fait d'attracteur étrange, de piège à coïncidences. Consignons donc celui d'hier.


En arpentant mon domaine, et en photographiant donc cette vieille herse, je songeai à Pierre Bergounioux, dont j'achève la lecture du troisième Carnet de notes, 2001-2010. Il me reste la dernière année à lire, 2010, et il me faudra donc douze jours pour mener cela à bien, car je ne lis qu'un mois par soir, chaque soir ou à peu près. Une des activités annexes de Bergounioux, à laquelle il sacrifie pendant son invariable séjour de juillet en Haute Corrèze (encore que cette passion décline durant cette troisième décennie de notes), c'est le travail du fer, la sculpture à partir de pièces métalliques glanées dans les casses.

Dans un article de juin-juillet 96, du Matricule des Anges, on peut lire ceci :

"Chacun des murs de la pièce est recouvert de livres et de "ferrailles" -c'est ainsi que l'auteur appelle modestement ses propres sculptures dont le matériau de base n'est autre que de vieux outils dénichés dans des casses et revisités par l'écrivain-artiste. Pierre Bergounioux trouve dans ces objets une grâce spéciale, liée pour une bonne part à ce qu'ils représentent socialement, historiquement et symboliquement : "L'âge du fer s'achève. Alors qu'il m'a semblé qu'il était encore dans son essor quand je suis né. Tout petit, je ramassais des bouts de ferraille. Le jour où j'ai vu quelqu'un souder à l'arc électrique, ça a été une révélation. Dès que j'ai trois jours en Corrèze, je soude. Il m'a semblé qu'à travers cette activité, je tâchais à sauver un monde qui fut, la société agraire d'où je viens. ". C'est avec un respect extrême qu'il caresse et commente les divers objets qu'il a travaillés; des pièces de forge du XVIIIe et XIXe siècles, des pièces métalliques provenant des anciennes charrettes de cultivateur et transformées en cavalier ou en antilope, mais aussi des masques africains : "Là, ce sont des reproductions des figures de reliquaires Bakotas (peuple du Congo et du Gabon, NDLR). Ils portent leur mort sur eux avec les ossements des morts dans des paniers. Le panier est fermé en haut et coiffé de cette figure. Quand vous mettiez une gouge et un maillet dans les mains de ces brutes d'anthropophages, ils tiraient du bois les figures africaines les plus troublantes que j'ai jamais vues. Ils ont une intuition de la beauté qui les met extrêmement haut dans le tableau de l'humanité." En ce qui le concerne, l'auteur soude pour son plaisir, sa délectation personnelle. Ces moments-là sont pour lui des moments bachelardiens. Il ne pense pas aux livres qu'il est en train d'écrire quand il est à ses sculptures.

Je me demandai donc, en voyant cette herse et d'autres vestiges de l'activité agricole de mes parents et grands-parents, ce que l'ascète corrézien pourrait bien en faire, quelles figures il en tirerait. C'était simple questionnement, sans réponse, je n'éprouve pas quant à moi le besoin de donner une vie seconde à ces outils, leur beauté rude et inutile me suffit.
Et puis voilà qu'au moment de l'écriture du billet, à 22 h 41 très précisément, alors que j'ai déjà choisi de mettre la herse, je reçois un courriel de ma compagne de jeu théâtral, l'Annie de Pok représenté la semaine dernière. Un courriel très court :

Patrick, je viens d'entendre à "La grande librairie" (sur la 5) comme "recommandation" le (ou les) Carnet(s) de notes de Pierre BERGOUNIOUX ... est-ce le BERGOUNIOUX dont tu m'as parlé (à Mouhers) comme étant ton auteur préféré ?
Bonne nuit mon cher Gaston. 

C'était bien lui. Je n'avais pas exactement dit que c'était mon auteur préféré (je n'ai pas d'auteur préféré, mais une galaxie d'auteurs de prédilection dont il fait partie, c'est vrai), mais je l'avais évoqué, au comptoir du manège carré, en buvant une bière artisanale. Ce rappel sonnait donc comme un écho à ma propre méditation de midi, prolongée sur le blog.

Voilà où mène la conversation d'un vieux filmeur dans son hôtel parisien.
Dans l'extrait d'aujourd'hui, le vieux filmeur a la goutte, le pied enflé, qu'il doit soigner à la Colchicine. Il retourne dans sa chambre en fauteuil roulant. Il filme la misère du corps. La même que décrit au fil de jours Bergounioux qui, depuis qu'il a perdu connaissance dans le RER et connu plusieurs passages à l'hôpital, vit dans la crainte de mourir, de voir s'ouvrir devant lui "les portes sombres".


2 mai 2012 - Conversation avec Alain Cavalier à... par lacinematheque