mardi 16 octobre 2012

Comme une eau, le monde vous traverse

Je reviens de la médiathèque, où j'ai assisté à une conférence (non, pas une conférence, ça ne se voulait pas tel, ça n'avait ni la structure, ni l'ambition d'une conférence), une causerie alors (non, pas une causerie, car ce fut plutôt un monologue, même s'il y eut quelques questions), alors quoi ? une évocation, dira-t-on, de Nicolas Bouvier, par Marlyse Pietri, qui fut son éditrice aux éditions Zoé, en Suisse.

Ce que j'aime dans Nicolas Bouvier, ce n'est pas tellement son côté écrivain-voyageur, c'est très réducteur ce truc  là, il aurait pu raconter une randonnée dans le Valais, une excursion dans le Jura, une flânerie sur les berges du Léman, je pense que j'aurais lu avec le même plaisir, mais surtout il ne la ramène pas, au contraire de ces voyageurs pas trop écrivains même s'ils se voudraient tels qui, tout exaltés de leurs aventures inoubliables, vous font bien sentir combien vous êtes petits, racornis et frileux à vivre vos pauvres vies sédentaires. Le voyage, pour Nicolas Bouvier, est-il vraiment le lieu de l'accomplissement ? Il a pris pour lui souvent un autre visage. La page de L'usage du monde dont j'ai le plus grand souvenir, c'est celle où il compare la mouche européenne avec la mouche asiatique, c'est tout à la fois drôle et terrible, il décrit l'enfer et c'est un vrai bonheur de lecture. Vous avez honte de rire de tels supplices, mais c'est plus fort que vous, votre nature cruelle est par là démasquée.

Pas pu m'empêcher d'acheter un livre pour le souvenir, mais j'en ai pris un tout petit, des éditions Zoé bien sûr, à trois euros quatre-vingts, La guerre à huit ans. Mais je ne le lirai pas ce soir en tout cas. Car j'ai égaré mes lunettes. Je pense qu'elles ont glissé de la poche interne de mon blouson que j'avais retiré le temps de la conférence (non, pas la conférence, j'ai dit), et qu'elles sont donc restées dans l'auditorium. Enfin c'est ce que j'espère, elles ne sont pas à la maison en tout cas. Juste avant de partir, je m'en étais servi pour décrypter les dernières analyses de mon sang pompé ce matin de bonne heure. Saleté de cholestérol. C'est incroyable comme ça me fiche le bourdon, cette perte. Je me sens infirme, je plisse les yeux pour lire sur cet écran. Ça m'a même coupé l'appétit. Je sais qu'il faut attendre demain pour en avoir le cœur net. Et si elles n'étaient pas là-bas ? Avoir deux paires, c'est mieux, c'est ce que je me dis depuis un moment, mais je n'en ai rien fait, c'est pas malin.

Sur l'écran, ça va, je fais CRTL +, les caractères s'agrandissent. Saleté de presbytie. Je veux changer l'image du bureau, ça n'a rien d'urgent évidemment, mais on se raccroche à ce qu'on peut, je vais donc sur le tableau de bord de mon Tumblr, Alluvions-1960, et décide de prendre une des images qui foisonnent sur les sites auxquels je suis abonné. Je tombe d'emblée sur un Charly Brown tout à fait raccord avec mon état d'âme.


Marlyse Pietri a lu quelques poèmes et extraits de prose de Nicolas Bouvier. Et entre autres, la fin de L'usage du monde.  Ça parle du vide fondamental, ça va bien avec le vide de Sebald et de Modiano évoqués naguère, ça finira bien le billet de ce soir :

"Comme une eau, le monde vous traverse, et, pour un temps, vous prête ses couleurs. Puis, se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr."

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