jeudi 11 octobre 2012

Les brèches du temps

J'ai dévidé la pelote des correspondances apparues avec le livre de Christian Garcin sur Borges ; cela m'a conduit à relire Sebald et Borges ; le récit de Jean-Paul Goux est venu se greffer sur l'ensemble ; les figures du quinconce et du losange se sont imposées. L'attracteur étrange avait-il épuisé ses forces dans ce tourbillon de lectures ?

Pas tout à fait, semblait-il, puisque le 7 octobre, Sébastien Chevalier du blog Norwich publiait un nouveau billet titré Dimanche d'octobre (vide d'août (2)). Prolongeant donc le billet d'août que j'ai cité le lundi 8 octobre (mais j'avais écrit l'article deux jours avant et planifié sa publication à cette date du lundi), il met en parallèle le récit sébaldien avec le dernier roman de Patrick Modiano, L'herbe des nuits (que je n'ai pas lu):

"Ce n’est pas dans Dimanches d’août, mais aux premières pages de L’herbe des nuits, son dernier roman, que j’ai trouvé chez Modiano l’expression la plus proche du vide créateur dont je parlais il y a quelques semaines à propos des récits de Sebald. Là aussi, comme dans le troisième récit des Émigrants, le vide invite le narrateur à la marche et à l’exploration de zones incertaines – banlieues abandonnées de Manchester chez Sebald, quartier de « l’arrière-Montparnasse »,
le long de terrains vagues, de petits immeubles aux fenêtres murées, de tronçons de rues entre des piles de gravats, comme après un bombardement
chez Modiano – sur le point de disparaître avec les années 60 du siècle dernier."
Si la méthode, l'écriture des deux écrivains sont très différentes, il reste que la quête, la recherche obstinée d'un passé qui se dérobe, d'un souvenir qui tout à la fois s'offre et se refuse est fondamentalement semblable :

"Et même si, contrairement à Sebald, Modiano procède par petites touches – une rue, une façade, un nom, des notes dans un carnet en cuir noir - plutôt que par grands aplats érudits ou longues digressions exotiques, c’est par la même embrasure, en suivant les mêmes traces, qu’il ouvre la brèche."
Ce mot brèche me semble important, crucial même. Je l'ai retrouvé dans le seul livre de Modiano que je possède, donné par mon ami Gary en mai 2008, mais que je n'avais toujours pas lu. Du plus loin de l'oubli, un roman de 1996, dédié à Peter Handke. Sur une soudaine impulsion, je l'ai commencé hier à minuit et achevé en fin d'après-midi. Comme si ce livre allait me donner une clé pour la suite de l'enquête (mais quelle enquête ?).

Page 134, le mot brèche : "Et aujourd'hui, premier dimanche de l'automne, je me retrouve sur la même ligne, dans le métro. Il passe au-dessus des arbres du boulevard Saint-Jacques. Leurs feuillages se penchent sur la voie. Alors j'ai l'impression d'être entre ciel et terre et d'échapper à ma vie présente. Rien ne me rattache plus à rien. Tout à l'heure, à la sortie de la station Corvisart qui ressemble à une gare de province avec sa verrière, ce sera comme si je me glissais par une brèche du temps et je disparaîtrais une bonne fois par toutes."

C'est en cherchant sur Google, Modiano + brèche, que je tombe sur un article de Jean-Claude Raspiengeas, dans La Croix, qui reprend dans son titre cette même expression, que je souligne ici, pour chroniquer L'herbe des nuits :  "Modiano, tel qu’en lui-même, inchangé. Musique d’automne, aux mots feutrés, d’un arpenteur aux longues foulées, géomètre des lignes de fuite, appliqué à dresser le cadastre des zones d’ombre." Mais je m'avise, en lisant un autre article, celui de Claire Devarrieux dans Libération, que la brèche du temps a sauté d'un livre à l'autre, de 1996 à 2012 : "Il feint de partir sur les traces d’un secret : il se préoccupe surtout de rendre perceptible le brouillard. Il ramène le passé dans le présent, et vice-versa, se faufilant par«les brèches du temps»." Bernard Quiriny enfonce le clou :
"Jusqu'à cette formule qui résume à peu près tout et résonne comme une sorte de profession de foi fataliste : « J’écris ces pages pour trouver des lignes de fuite et m’échapper par les brèches du temps ». En nous prenant avec lui."


Patachou
Bal chez Temporel

Si tu reviens jamais danser chez Temporel
Un jour ou l'autre
Pense à ceux qui tous ont laissé leurs noms gravés
Auprès du nôtre

Chanson évoquée par Modiano dans la vidéo de l'article de Bernard Quiriny. Belles paroles de ce poète que j'aime profondément, un autre amoureux de Paris, de ses femmes et de ses mystères : André Hardellet.

Grille - Château de Bouges - septembre 2012.

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