mardi 8 décembre 2015

Les loups sont entrés dans Paris

"Et la voilà la bête qui fait peur même au lion ce gros fainéant des pays chauds. Le loup ! Le loup qui peut faire « ses cinquante lieues en une nuit à la queue leu leu » et qui arrive du bout de l’hiver, pas de ces pays du soleil où nous, nous allons en vacances safaris.
Le grand méchant loup menace d’envahir Paris et contre lui on construit une barrière,  une place forte là où ses ancêtres chassaient en meute: le Lou-vre."
Voilà, c'est un extrait de l'un des deux textes que l'ami Francis, alias Paul-Charles, m'a envoyé, qu'on lira peut-être dans un prochain Torticolis. Les traces des bêtes sauvages dans l'histoire de Paris, par un parisien un peu nostalgique d'un Paris populaire enfui.
Les loups sont entrés dans Paris, y ont semé le meurtre et la désolation. Mais la métaphore tient-elle toujours ? Les hommes sont plus cruels que les bêtes sauvages, qui ne tuent que torturés par la faim. Seule notre espèce est capable de fanatisme. On pourrait à raison écrire que le fanatisme, plus que le rire, est le propre de l'homme.

Le soir-même, je vais voir à l'Apollo le film d'Alexandre Sokourov, Francofonia, qui raconte justement l'histoire du Louvre sous l'occupation.


 Histoire presque incroyable que ce pacte tacite entre deux amoureux de l'art, Jacques Jaujard, directeur du grand musée français, et le comte allemand Franz Wolff-Metternich, responsable de la Kunstschutz, mission allemande de conservation des œuvres d’art. Jaujard n'avait pas attendu l'invasion pour envoyer, ignorant les injonctions du gouvernement de Vichy, les trésors du Louvre à l'abri à Chambord et dans plusieurs châteaux de province, mais on aurait pu imaginer que Metternich, pourtant membre du parti nazi, aurait exigé le retour des pièces, mieux, aurait organisé leur départ pour Berlin. Il n'en fait rien, ferme les yeux et même gagne du temps sur les exigences de ses supérieurs en faisant tourner à fond la machine bureaucratique. Il est rappelé en 1942, et envoyé sur le front de l'est.




 Le film lui-même n'a rien d'un documentaire bien sage, du type des actualités de l'Ina ci-dessus. Non, c'est un montage sophistiqué, un vaste collage où Sokourov mêle archives et reconstitutions, où l'on croise Tchekhov et Tosltoï sur leurs lits de mort, Marianne égrenant un peu sottement la devise républicaine et un Napoléon arrogant légèrement ridicule, commentaires du cinéaste lui-même et image pixelisées d'un cargo aux containers chargés d’œuvres d'art pris dans la tempête. Un patchwork qui a suscité tout à la fois les adhésions émerveillées et les critiques furibondes. Moi, j'en aime en tout cas la poésie, et même le côté foutraque.

Il est singulier que Sokourov ait eu beaucoup de difficulté à retrouver des traces de Jacques Jaujard. Pas d'archive, seulement quelques photographies. Il dit avoir  même eu du mal à savoir où il était enterré. La France fut longtemps bien ingrate avec le principal sauveur de son patrimoine artistique (les choses s'arrangent, on peut même  trouver un serious game pour se mettre dans la peau de Jacques Jaujard).

En m'informant plus avant sur cette histoire, j'ai découvert incidemment le rôle important qu'a joué une femme comme Rose Valland. Attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, elle dresse un inventaire précis des œuvres qui y transitent. Elle noircit des centaines de fiches, en n'hésitant pas à aller chercher les papiers carbone allemands dans les poubelles du musée et à espionner les conversations des officiels nazis. Elle informe la Résistance sur les trains qui transportent les œuvres, afin que ces convois soient épargnés.
A la signature de l’armistice, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche - See more at: http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1332#sthash.cah5vHsU.dpuf
A la signature de l’armistice, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche. - See more at: http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1332#sthash.cah5vHsU.dpuf

A la signature de l’armistice, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche. - See more at: http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1332#sthash.cah5vHsU.dpuf
"A la signature de l’armistice, écrit Emmanuelle Polack, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche."

A la signature de l’armistice, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche. - See more at: http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1332#sthash.cah5vHsU.dpuf
A la signature de l’armistice, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche. - See more at: http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1332#sthash.cah5vHsU.dpuf
A la signature de l’armistice, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche. - See more at: http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1332#sthash.cah5vHsU.dpuf

Rose Valland
 Je découvre aussi que cette historienne a également scénarisé une bande dessinée sur la vie de Rose Valland, Rose Valland, capitaine Beaux-Arts, aux éditions Dupuis.

Et le monde étant petit, elle est aussi l'auteur d'un guide sur les fresques de Vic, (où nous devons nous rendre en février prochain avec quelques étudiants, dans l'optique d'un projet avec l'école maternelle du village).

Le baiser de Judas, église Saint-Martin de Vic

jeudi 3 décembre 2015

Manhattan, de Woody à Léo

« C'est alors que m'est revenu cette vieille blague... Vous savez, ce gars qui va chez le psychiatre et dit : « Docteur, mon frère est dingue, il se prend pour une poule ! ». Et le docteur lui répond : « Ben c'est simple... faites-le interner ! ». Et le type dit : « J'aimerais bien, mais j'ai besoin des œufs ». Et bien, moi c'est comme ça que j'ai tendance à voir les relations humaines. Au fond, elles sont totalement irrationnelles, dingues, absurdes… Mais il semble que nous faisons avec parce que la plupart d'entre nous ont besoin des œufs… ».
C'est ainsi que Woody Allen (Alvy Singer dans le film), conclut Annie Hall, sa comédie sortie en 1977, et que j'ai revue lundi soir sur Arte. C'est brillant, sensible, drôle, profond et... incroyablement bavard (pour moi, qui aime au fond de plus en plus les films contemplatifs où la parole sait s'effacer devant l'image, j'étais comme dépassé, et, la fatigue aidant, il m'est arrivé, je l'avoue sans honte aucune, de laisser parfois mon esprit divaguer). Ce qui est émouvant, en tout cas, à travers cette histoire d'un amour perdu, c'est le double éloge d'une femme et d'une ville. La femme, c'est Diane Keaton, qui partagea un temps l'existence du cinéaste mais continua de faire des films avec lui après la rupture, devenant en quelque sorte sa meilleure amie. Le ressentiment n'a pas succédé à l'amour, bien au contraire.

Diane Keaton
La ville, c'est New York, la seule où il lui semble possible de vivre.
Dans Manhattan, deux ans plus tard, il remettra en scène la ville et la femme. Il joue Isaac Davis, scénariste de télévision désabusé, empêtré dans une vie sentimentale compliquée, qui tombe amoureux de  Mary, la maîtresse de son meilleur ami - rôle interprété une nouvelle fois par Diane Keaton. L'amour de la ville et de la femme est comme condensé dans le célèbre plan tourné au pied du Queensboro Bridge, où le couple est assis sur un banc dans la brume qui se lève de l'East River.

Extrait de Manhattan

***

Au sortir du film, j'abordai la troisième histoire des Rêveurs lunaires, le troisième génie qui a  changé l'histoire, et là je dois dire que si je connaissais Heisenberg et Turing, les deux précédents, j'ignorais tout de celui-ci, Léo Szilard, le savant juif hongrois (et c'est l'un des mérites de l'album que de redonner la place qu'ils méritent à des hommes méconnus qui ont pourtant eu une influence cruciale sur la marche du monde).

Je suis saisi d'entrée, dès la première case :

Les rêveurs lunaires, p.96.


Neuf janvier 1960, New York. Le jazz, que Woody Allen aime tant (il joue de la clarinette dans un groupe de New Orleans). Albert Camus vient de mourir le 4 janvier dans un accident de voiture, à Villeblevin dans l'Yonne. Leo Szilard, atteint d'un cancer, va subir une radiothérapie, à des doses de cheval (mais c'est lui qui le demande : il a obtenu de pouvoir participer au protocole des soins). Le personnage est passionnant, et je ne veux pas ici reprendre tout ce que Cédric Villani dévoile de sa biographie. Qu'il suffise pour l'instant de signaler qu'il fut le premier humain à concevoir, dès 1933, la possibilité d'une réaction neutronique en chaîne, donc d'une bombe atomique aux possibilités de destruction inouïes, et à comprendre ensuite que le tout nouveau régime nazi était le mieux placé, de par l'avancée de la science de son pays, pour mettre au point cette invention.

C'est ce qui l'amènera en 1939 à demander à Albert Einstein d'adresser une lettre à Franklin Roosevelt, le président américain, pour l'alerter sur le danger et le convaincre d’accélérer la recherche expérimentale sur la réaction en chaîne en Amérique. Lettre signée Einstein mais c'est lui, Léo Szilard, qui en a rédigé le brouillon.
Et c’est en 1942, avec le physicien italien Enrico Fermi, dans le cadre du Projet Manhattan visant donc à doter l’Amérique d’une bombe atomique, qu’il parvient à créer la première réaction en chaîne avec un réacteur utilisant du graphite et de l’uranium.
Lui, pacifiste convaincu, qui s'opposera à l'utilisation de cette bombe, qui condamnera l'horreur d'Hiroshima, mais que les militaires, une fois la bombe réalisée, s'empresseront de mettre sur la touche.

Les rêveurs lunaires, p. 141.

***

Roger Caillois, le 9 août 1945, écrit de Londres à Victoria Ocampo. Il arrive précisément de New York, où il vient de faire un bref séjour. Il évoque la bombe en deux phrases, en tout et pour tout (nous sommes loin de Camus) :
" (...) Les gens sont très agités (intellectuellement et moralement) par la bombe atomique. De fait, il y a de quoi. John Lehmann est en vacances. Je lui ai laissé des messages. On fait des meetings pour l'anniversaire de la mort de Tagore. Strafford Crips y parle. Les encaisseurs de banque sont toujours en haut de forme et le chapeau melon toujours aussi porté. L'Angleterre est décidément éternelle. (...)"



Le premier morceau du disque se nomme aussi Manhattan.