lundi 5 juin 2017

# 133/313 - Du Lycée au Louvre

Retour sur saint Génitour. Qui est l'aîné de la fratrie ? un certain Loup. Qui affronte le martyre avec la plus grande sérénité : « Je m'appelle Loup, dit-il, mais vous me trouverez prêt à mourir pour le Christ avec la douceur d'un agneau. »
Les saints Loup, ou saint Leu (forme ancienne de loup, qui perdure dans la langue avec la locution à la queue leu leu) sont nombreux, pas moins d'une dizaine recensés sur Wikipedia.
N'est-il pas étonnant que les seuls animaux qui donnent des prénoms de saints soient des animaux sauvages ? Saint Loup et saint Ours existent en plusieurs exemplaires, alors qu'on cherchera en vain un saint Chien, un saint Chat, une sainte Poule ou une sainte Vache... L'animal domestique ne cadre pas avec la sainteté. Comme si on ne saurait vénérer que ce qui échappe à notre maîtrise, nous procure de la crainte et même de l'effroi.



Du loup, il était beaucoup question au dernier Chapitre Nature, le festival qui a lieu au Blanc chaque mois de mai. J'ai eu la surprise d'y voir programmée au Moulin de la Filature une conférence de Baptiste Morizot, le jeune philosophe dont je venais de lire l'essai Les diplomates, évoqué ici plusieurs fois . J'ai donc fait le déplacement pour assister à cette conférence qui était suivie d'une table ronde sur le loup ("Ici comme ailleurs, des questions se posent : d'où vient le loup, comment et par où se déplace-t-il ? Quelles sont les routes de colonisation, notre région est-elle une zone, une voie de recolonisation ? Comment anticiper son retour et l'activité humaine ? Quelles alternatives à la régulation ?").

Le loup s'imposait donc à nouveau. D'autant plus qu'au même moment je retrouvai chez deux autres philosophes abordés ces dernières semaines, Augustin Berque et Michel Serres, mention explicite du Lycée, portant souvenir du loup et cité dans mon étude d'Arsène Lupin.

A dextre, dans Poétique de la terre (Belin, 2014), Augustin Berque, après avoir évoqué La Vallée-aux-Loups de Chateaubriand, poursuit ainsi :
"Autre fut le destin du Lukeion, lieu que longtemps fréquentèrent les loups (lukoi), situé au nord-est d'Athènes ; on y édifia plus tard un gymnase du même nom, ce qui en français a été rendu par Lycée. Aristote y forma les jeunes loups de la philosophie de son temps : Théophraste, Diodore de Tyr, Straton et bien d'autres. Quant à l'homologue latin de "lycée", lupanar, n'en parlons pas, sinon pour rappeler que lupa (louve) avait aussi l'acception de "prostituée". Du reste, l'école d'Aristote était dite aussi péripatéticienne (de peripatein, "se promener", le Stagirite aimant donner en marchant ses cours du soir, pour le grand public)." (p. 23)
A senestre, Michel Serres, dans Écrivains, savants et philosophes font le tour du monde (Le Pommier, 2015), livre acheté le 13 mai, déclare ceci :
"Les loups nous avaient aussi enseigné comment enseigner nos enfants : Romulus et Remus tétaient sous la louve ; lupa, dit-on, désignait aussi la putain, qui jouissait ainsi elle-même d'un totem ! Le Lycée d'Athènes et ceux, si nombreux en France, rappellent, comme Tite-Live ou Le Livre de la jungle le firent, la pédagogie géniale, connue des chasseurs comme des éthologues, qui organisait l'élevage et l'apprentissage de la chasse dans les meutes. Qui ne se souvient, en effet, que lycée traduit en français le loup grec ? La France rêva lycéens ses petits, comme Baden-Powell, colonialiste sud-africain, admirateur de Kipling, quant à lui pseudo-hindou, voulut les siens louveteaux. L'enseignement fit de moi, comme de beaucoup de mes concitoyens louveteaux et lycéens, un totémisé Loup par deux fois." (p. 18)
Un peu plus loin, il écrit : "Notre culture, historique et politique, va du Lycée au Louvre ; quittons-nous jamais les loups ?"

Au soir de l'élection présidentielle, le 7 mai dernier, je ne pouvais m'empêcher de sourire en voyant Emmanuel Macron, pour ses premiers pas dans la fonction, choisir le Louvre.



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