samedi 17 juin 2017

# 144/313 - Le pont de l'Epée

Dans les romans arthuriens, la forêt - nous venons de le voir-, est un espace largement idéalisé. Mais c'est à l'image de la chevalerie elle-même. William Blanc peut écrire justement que le "chevalier de Chrétien représente en effet la noblesse comme elle souhaite apparaître, et non comme elle est réellement." Le roman comporte une dimension pédagogique et initiatique indubitable : rappelons qu'il est dédié à Philippe d'Alsace, c'est-à-dire au précepteur d'un jeune Roi de France encore en formation.
C'est pourquoi le roi Arthur passe à l'arrière-plan dans les deux derniers romans de Chrétien. C'est un homme arrivé dont l'histoire est pour ainsi dire close. On va lui préférer la figure du jeune chevalier qui a tout à apprendre. Ainsi, lorsque Guenièvre est enlevée dans Le Chevalier de la charrette, ce n'est pas Arthur mais Lancelot qui entreprend d'aller la délivrer. "Par amour pour elle, écrit William Blanc, il n'hésite pas à s'humilier, à se mettre debout dans une charrette - alors qu'un chevalier ne voyage qu'à cheval - et à traverser un pont de l’Épée."

Lancelot passant le Pont de l'Epée
Manuscrit en quatre volumes réalisés pour Jacques d'Armagnac, duc de Nemours.
Atelier d'Evrard d'Espinques. Centre de la France (Ahun), vers 1475.
BnF, Manuscrits, Français 115 fol. 367v

William Blanc commente ainsi cette image : 

"Le parcours du chevalier motivé par l'amour courtois renvoie à celui du Christ. Sur une épée ressemblant à une croix couchée, Lancelot expose ses mains et ses pieds, endroits où le Christ a reçu ses stigmates. Cette caractéristique distingue l'aristocrate courtois du peuple médiéval, mais aussi des guerriers simplement motivés par l'exploit militaire. La légende arthurienne promeut ainsi, même à travers ses épisodes amoureux, un idéal de conversion chrétienne." (p. 67)
A la cour, Arthur a plutôt fonction de juge, arbitrant les conflits entre les chevaliers et pratiquant la négociation autour de la Table ronde, mentionnée pour la première fois vers 1150 dans Le Roman de Brut, œuvre d'un moine anglo-normand, Robert Wace (v. 1110-v.1170).
"Pour ses nobles seigneurs dont chacun s'estimait le meilleur et dont nul ne savait qui était le moins bon, Arthur fit faire la Table ronde sur laquelle les Bretons racontent bien des récits. Les seigneurs y prenaient place, tous chevaliers, tous égaux."
Dans cette histoire légendaire de la Grande Bretagne, le récit s’organisait encore en grande partie autour d'Arthur, fils du roi Uterpandragon, de ses guerres contre les Saxons et de ses conquêtes. Composé pour notre vieux comparse, le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt,  le Roman de Brut exaltait sans aucun doute ses rêves de prestige et de gloire. Wace "présente la Table ronde comme un lieu idéal, conçu pour attirer l'élite des chevaliers et aussi ne pas établir de hiérarchie entre eux." (notice de l'excellente exposition virtuelle de la BnF sur le roi Arthur).

Arrivée de Galaad à la cour
Milan, vers 1380-1385.
BnF, Manuscrits, Français 343 fol. 3
Ce pôle pacifique de la Cour a son pôle opposé qui est encore une fois la forêt. Yvain, par exemple, devenu fou à force de combats, y erre pendant une année entière.
"Cette dernière [la forêt] est d'ailleurs le lieu de tous les dangers, de toutes les pratiques condamnées par l’Église, notamment la chasse que méprisent les clercs. D'ailleurs, dans certaines histoires rapportées par des membres du clergé, le roi Arthur est représenté à la tête d'un groupe de chasseurs sauvages et infernaux qui hantent les bois durant la nuit [il s'agit de la fameuse Mesnie Hellequin]. Aussi est-il urgent de dépasser le simple chevalier courtois et de proposer un autre modèle qu'incarne Perceval." (W. Blanc, p.38)

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