mardi 20 juin 2017

# 146/313 - Le baiser de Judas

Comme il parlait encore, voici, Judas, l'un des douze, arriva, et avec lui une foule nombreuse armée d'épées et de bâtons, envoyée par les principaux sacrificateurs et par les anciens du peuple. Celui qui le livrait leur avait donné ce signe: Celui que je baiserai, c'est lui; saisissez-le.

Évangile de St Mathieu, 26, 47-48

Parlons donc de Judas.
Il y a longtemps que j'avais envie d'écrire sur Judas, mais le temps n'était pas encore venu.
Je voulais écrire aussi sur un des chefs d’œuvre du Berry, à savoir les fresques de Saint-Martin de Vic, près de Nohant. Deux visites, en 2016 et 2017, m'avaient donné les éléments d'une petite étude, mais je n'avais pas pris le temps de les mettre en forme.
Et puis voici que la semaine dernière, Noz, mon habituelle caverne d'Ali Baba, me livre pour trois misérables euros un livre d'art magnifique sur Judas : Judas, le disciple tragique, par Jeanne Raynaud-Teychenné et Régis Brunet, aux éditions Privat, 2010. Il n'y avait qu'un seul exemplaire : il était pour moi.
Il n'était plus question de reculer, d'autant plus que la Table ronde m'avait en quelque sorte mis le pied à l'étrier : Merlin y occupait peu ou prou la place du traître, il importait maintenant d'examiner d'un peu plus près l'iconographie romane qui le concernait.

Couverture : Le Baiser de Judas, Giotto, chapelle des Scrovegni, Padoue, 1303-1306.
Ce n'est sans doute pas un hasard si le livre arbore en couverture la magnifique fresque de Giotto. Le baiser de Judas est bien ce geste saisissant qui stupéfia de tout temps les lecteurs des Évangiles. Ce geste d'amitié entre deux hommes qui devenait signal d'une arrestation, cette duplicité du disciple qui conduisait au supplice, ne pouvaient que marquer les esprits ; et les artistes à qui était confiée la représentation de cet épisode de la Passion y donnèrent souvent le meilleur d'eux-mêmes.
Ce n'est sans doute pas un hasard si la récente étude de l'historienne Emmanuel Polack (Lancosme, 2012) reprend elle aussi en couverture, parmi bien d'autres éléments de ce vaste ensemble de fresques, la scène du baiser de Judas :


Un opuscule plus ancien (Gérard Guillaume, 1997), longtemps en vente dans la boulangerie en face de l'église, avait pris un parti identique. Logique quand on pense comme l'auteur qu'il 'agit là de "la plus belle et sans doute la plus dramatique des compositions de Vic."


Cette fresque se trouve au registre médian du mur nord du chœur. La voici dans sa totalité :

(Extrait du livre d'E.Pollack, photo Claude-Olivier Darré)
Gérard Guillaume : "Le peintre a traduit ici toute l'agitation de l'action en traitant d'une manière énergique les plis des vêtements des protagonistes : celui de saint Pierre et ceux de Judas et du Christ forment une spirale, un grand tourbillon. Le sol figure une eau en tempête qui, telle une vague, semble emporter, malgré eux, tous les acteurs de la tragédie." Il rappelle aussi un des codes de l'image médiévale : le Christ, saint Pierre sont de face, tandis que les soldats et Judas sont de profil.
Chez les méchants, la moitié seulement du visage est visible, ce qui est la signature de leur dissimulation et de leur fausseté (une convention qui disparaîtra, comme on peut le vérifier avec la fresque de Giotto où les deux visages sont de profil). En revanche, je ne suis pas d'accord avec Gérard Guillaume quand il écrit : "Remarquons aussi dans l'échange de regards entre l'accusateur et sa victime, la haine de l'un et la compassion de l'autre". Car à bien scruter les deux visages, on s'aperçoit de leur quasi-similitude : la bouche, les yeux, les sourcils sont identiques. L'auteur projette ses sentiments, influencés par ses connaissances, sur cette scène formellement neutre dans l'expressivité (ce n'est pas le cas chez Giotto par exemple, où Judas est clairement animé d'un sentiment négatif).

De son côté, Emmanuel Polack a raison de remarquer que la position et le vêtement de saint Pierre (qui s'apprête à couper l'oreille de Malchus, serviteur du grand prêtre) font écho au personnage du Christ, comme un reflet dans un miroir.

Aucun commentaire: