lundi 10 juillet 2017

# 163/313 - Geminae columbae

«La gloire des yeux, c'est d'être les yeux de la colombe. »
Saint Grégoire de Nysse

Sur la façade ouest de l'église de Villesalem, à la voussure supérieure d'une fenêtre aveugle, des mains humaines tiennent des branches feuillues.


Cette composition est très rare : on a suggéré qu'il s'agit d'une figuration des Rameaux. Cette fête chrétienne commémore l'entrée triomphale à Jérusalem de Jésus monté sur une ânesse, ses disciples l'accueillant avec des rameaux de palmier. « C'était une tradition orientale, déclare le Dictionnaire des Symboles (p. 800), d'acclamer les héros et les grands en brandissant des rameaux verts, qui symbolisent l'immortalité de leur gloire. »

Les Rameaux se célèbrent le dimanche qui précède Pâques, dont la date est fixée au premier dimanche suivant la pleine lune de l'équinoxe de printemps, donc entre le 21 mars et le 25 avril (35 jours que l'on appelle les journées pascales). Ce qui place la fête pratiquement toujours dans le signe du Bélier. On ne fait plus guère attention de nos jours à cette subordination du temps humain à la temporalité cosmique, à cette double détermination luni-solaire, pourtant nous continuons tous de fonctionner, croyants, laïcs et mécréants dans ce cadre multi-millénaire – et il n'est même aucun rationaliste farouche pour proposer de le modifier (la seule tentative en ce sens, celle du calendrier révolutionnaire, a fait long feu et personne ne s'aviserait aujourd'hui d'y faire retour).

Avec les Rameaux, c'est toujours la thématique du triomphe qui est exaltée, comme le souligne la prière de bénédiction des Rameaux :

« Bénissez, Seigneur, ces rameaux de palmier ou d'olivier, et donnez à votre peuple la parfaite piété qui achèvera en nos âmes les gestes corporels par lesquels nous vous honorons aujourd'hui. Accordez-nous la grâce de triompher de l'ennemi et d'aimer ardemment l’œuvre de salut qu'accomplit votre miséricorde. »

« La victoire célébrée ici, précise encore Le Dictionnaire des Symboles, est toute intérieure, c'est elle qui est remportée sur le péché, qui s'accomplit par l'amour et qui assure le salut éternel : c'est la victoire définitive et sans appel. Le symbolisme du rameau atteint à la plénitude de son sens.
Il était déjà préfiguré dans le rameau d'olivier que la colombe apporta dans son bec, pour annoncer la fin du déluge
: La colombe revint vers Noé sur le soir et voici qu'elle avait dans son bec un rameau tout frais d'olivier. (Genèse, 8, 11). C'était un message de pardon, de paix recouvrée et de salut. Le rameau vert symbolisait la victoire de la vie et de l'amour. »

medium_villesalem2.jpg

Villesalem est précisément, de par son nom, le village de la paix (salem). Et justement, sur la même façade ouest, on rencontre la colombe, dédoublée, buvant dans un calice - une des plus belles sculptures de l'édifice. Le calice est le réservoir de vie, la source éternelle d'énergie divine. Un autre récit antique, l'Enéide de Virgile, associe les deux colombes, geminae columbae, et le rameau, sous la forme du rameau d'or qui n'est autre que la branche de gui, dont les feuilles vert pâle se dorent à la saison nouvelle :
« Un rameau, dont la souple baguette et les feuilles d'or, se cache dans un arbre touffu, consacré à la Junon infernale. Tout un bosquet de bois le protège, et l'obscur vallon l'enveloppe de son ombre. Mais il est impossible de pénétrer sous les profondeurs de la terre avant d'avoir détaché de l'arbre la branche au feuillage d'or... Enée, guidé par deux colombes, se met à la recherche de l'arbre au rameau d'or dans les grands bois et soudain le découvre dans les gorges profondes. » (Eneide, chant VI, traduction d'André Bellessort )
Giuseppe Gambarini (Bologne, 1680 - 1720)
Énée détachant le rameau d'or 


Nanti de ce rameau d'or (homologue, en vérité, à la toison d'or, elle aussi cachée dans un bois), Énée pourra visiter les Enfers. Yves-Albert Dauge, pratiquant, selon ses propres termes, la polyexégèse de ce passage, écrit :
  « Chacun d'entre nous, méditant sur le récit virgilien et en saisissant la signification universelle, rencontrera à son tour, dans l' « intermonde » de son propre itinéraire, les deux colombes et les suivra jusqu'à l'Arbre de Vie, pour se relier, lui aussi, au circuit des Énergies créatrices, et avancer sur la voie de la métamorphose. Car un symbole correctement compris dans sa multiple unité devient à jamais vivant pour celui qui l'a déchiffré, comme la substance même de son esprit et la source même de sa ferveur. » (Virgile, Maître de Sagesse, Archê, 1984, p. 224).
Villesalem - L'arbre de vie










L'auteur des photos noir et blanc ici reproduites est mon ami Etienne Bailly, disparu en juin 2015, avec qui je fis cette visite à Villesalem, je ne sais plus quelle année. Son œil d'esthète nous manquera toujours.

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