mercredi 12 juillet 2017

# 165/313 - Dans le milieu d'une forêt

Persévérant dans la méditation sur les alignements, je vais évoquer aujourd'hui celui dont la démarche est a priori la plus opposée à celle que je développe ici, rêveuse et divagante, irrationnelle sans doute aussi pour certains. Je veux parler de Descartes, que nous avons par ailleurs récemment croisé - article #135 - grâce à Augustin Berque. Voici le passage en question :
"La Touraine est la région de France où se parle le français le plus pur, dit-on. Vous la visitez pour voir. Là, au coin d'un bois, vestige de la Gaule chevelue, vous rencontrez un homme qui vous dit : "Je m'appelle René Descartes". Pour peu que vous soyez native speaker de la même langue, vous savez que cet homme a dit aussi, mais dans d'autres circonstances, "Je pense donc je suis".
Descartes rencontré dans un bois, l'image est insolite. Mais peut-être pas tant que ça : il se trouve que la philosophe Denis Moreau a écrit un bel ouvrage sur le philosophe qui s'intitule Dans le milieu d'une forêt, Essai sur Descartes et le sens de la vie.

De fait (je ne m'en souvenais plus, c'est une recherche dans le blog sur Descartes qui a fait resurgir l'article), j'ai déjà chroniqué ce livre en octobre 2012. J'y citais l'extrait que Denis Moreau plaçait au coeur de son analyse :

Ma seconde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses lorsque je m'y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées: imitant en ceci les voyageurs, qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant tantôt d'un côté tantôt d'un autre, ni encore moins s'arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu'ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n'ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir; car, par ce moyen, s'ils ne vont justement où ils le désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d'une forêt. Et ainsi les actions de la vie ne souffrant souvent aucun délai, c'est une vérité très certaine que, lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables; et même qu'encore que nous ne remarquions point davantage de probabilité aux unes qu'aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques unes, et les considérer après, non plus comme douteuses en tant qu'elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer se trouve telle. Et ceci fut capable dès lors de me délivrer de tous les repentirs et les remords qui ont coutume d'agiter les consciences de ces esprits faibles et chancelants qui se laissent aller inconstamment à pratiquer comme bonnes les choses qu'ils jugent après être mauvaises.
        Discours de la Méthode, troisième partie, seconde maxime. [C'est moi qui souligne]
 
Cette deuxième maxime compare le philosophe à un voyageur égaré en forêt. Il n'est pas fréquent, note Denis Moreau, que Descartes use d'une comparaison si développée. L'abondance de détails laisse penser qu'elle a été "soigneusement choisie et travaillée, ce qui invite à la décrypter attentivement.
C'est ce que je me propose de faire dès la prochaine chronique, dans le sillage éclairé de Denis Moreau.

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