jeudi 28 septembre 2017

# 232/313 - Le Seuil du jardin

"Voilà, ç'a été Ravenne sans que je m'en aperçoive, d'abord le silence, puis on a parlé de toi, le seul moyen d'exprimer tout haut le seul nom qui habitait ce poignant silence. Ravenne, un repas, la route, ici les valises, bientôt onze heures, les gestes inévitables du départ, cette nuit qui va être trop courte, puis la route, la route - et au bout le vieux monde connu, le vieux monde de toute ma vie passée, où je vais t'introduire, à qui je vais te présenter. C'est Franca, noire, nuit, feu, belle et laide, passion et raison extrêmes, démesurée et sage, tout ce que vous voudrez, tout ce que vous pourrez en dire (...)"

Louis Althusser, Lettres à Franca, 15 septembre 1961, p. 12

Lettre de Louis à Franca, 21 mai 1962.
Voilà, je navigue en cette heure entre ces lettres superbes de Louis à Franca, et la vague amoureuse qui submerge Michelet dans son Journal, en cette année 1849 où il va épouser la jeune Athénaïs. Mais c'est d'une autre femme encore, d'une autre amour que je veux rendre compte aujourd'hui. Et il faut pour cela en revenir encore à ce fameux numéro du Magazine littéraire de novembre 1992.


A côté de Daniel Rondeau, nous voyons André Hardellet. J'ai déjà évoqué ici ce poète peu connu mais pour qui j'ai une particulière affection. Un article lui est donc consacré à l'occasion de la publication du troisième volume de ses Oeuvres aux éditions de l'Arpenteur : Hardellet, le traqueur de merveilles, et c'est signé Vincent Landel. Et cela commence ainsi :
"Il revient du fin fond des "grandes vacances", de l'autre côté des choses, d'un pli du temps. Quel est ce lieu, quel est ce centre ? André Hardellet guettait les moments où la mémoire et le présent offrent une coïncidence. Où la ville d'hier recoupe celle d'aujourd'hui."[C'est moi qui souligne]
Ne serait-pas là une bonne manière de décrire par exemple l'expérience de Jean Palou à Ravenne ? Dans la surgie d'une femme du passé dans la présente nuit d'un écrivain : "Chasseur d'images, Hardellet pensait qu'il y avait des déchirures dans les filets du temps, des corridors dans le tissu du présent.(...) Sous la ville neuve, il y a une ville fantôme. Vous marchez, et soudain une femme d'il y a un siècle vous adresse un signe de sa fenêtre. Il n'y a bien sûr pas de fenêtre, a fortiori pas de femme, et peut-être la ville n'est-elle plus que ruines ; mais "l'autre ville", lourde de passé, lente à s'estomper, vous a adressé un signe."

Et sera-t-on vraiment surpris de voir encore une fois apparaître dans cet article le couple Aragon-Breton ? Landel rappelle qu'Aragon "disait que "l'image est un stupéfiant". Et un peu plus loin, dans le même paragraphe, "L'auteur de Lady long solo eut même les honneurs d'André Breton, lequel, tombant par hasard sur Le seuil du jardin pendant une nuit d'insomnie, y reconnut les régions qu'il voulait défricher : '(...) Rien d'aussi nécessaire, d'aussi convaincant, d'aussi exaltant ne m'était parvenu depuis fort longtemps. Vous abordez là, en conquérant, les seules terres vraiment lointaines qui m'intéressent, et la reconnaissance que vous y poussez offre un nouveau ressort à tout ce que me connais comme raisons de vivre"...

J'ai devant moi ce court roman, que j'ai acheté, si j'en crois l'inscription au crayon du libraire encore visible, en septembre 1978. Le tableau de Magritte en couverture, dont le titre est La condition humaine, poursuit son irradiation subtile, et je me souviens encore de l'exaltation qui m'avait saisi, à l'instar de Breton, devant les sortilèges de cette écriture qui mêlait les accents populaires des vieux quartiers parisiens aux rêveries infinies échafaudées dans les brèches du temps. André Hardellet c'est tout ensemble René Fallet et Marcel Proust.
"Dans les coulisses où nos désirs contrariés, ajournés, préparent leur revanche, se trame une tapisserie dont le dessin se révèle parfois en pleine clarté. Pour certains, l'ultime joie réside en la rencontre du mythe avec son incarnation fortuite. La surprise nous ravit à une longue pénitence.
La plus grande des jeunes filles frôla sa robe de la main, une main gantée de violet, effaçant, pour ainsi dire, le tissu. Des tresses blond-fauve pendaient contre ses épaules. Elle s'épanouit nue, au soleil, d'une beauté flamande, royale.
"Venez, dit-elle à Masson. Vous avez bien tardé !"
Les mots qu'il prononça montèrent d'un tréfonds où la vacance, le temps devant soi et la certitude du bonheur ne faisaient qu'un." (p. 93)
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NB :  Je vous invite à lire le dernier article de Rémi Schulz sur le site Quaternite, Ana Mor, mords-moi à mort, j'y suis présent, mon nom étant l'exacte anagramme de Rolben, le meurtrier de Temps glaciaires, l'avant-dernier livre de Fred Vargas (que je n'ai pas encore lu)... J'ai trouvé plus agréable comme apparentement, mais Rémi se loge à la même enseigne : "Dans son roman suivant, L'armée furieuse, j'ai identifié le criminel dès la vue de son nom, le gendarme Emery. Puis vient Lebrun alias Charles Rolben dans Temps glaciaires, or le Schulz le plus connu a pour prénom Charles, devenu celui de son héros Charlie Brown, Charles Le Brun ?"


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