mardi 10 avril 2018

Le cahier des vertiges

Co-éditeur de la revue littéraire Torticolis, je pense depuis quelque temps à lui adjoindre des numéros hors-série fondés, contrairement aux numéros ordinaires, sur une thématique précise. Et je songeais qu'une entrée possible était bien ce trouble corporel qu'il y avait dans le titre. Torticolis, en termes savants, c'est une dyskinésie de la tête ou du cou (et anciennement, chez Rabelais, Torticollis désigne  faux dévots et cafards (Pantagrueline Prognostication) parce que ceux-ci, bande d'hypocrites, eux pas vous lecteurs, je ne me permettrai pas, gardent tête penchée pour marquer leur dévotion). Corps et âme étaient donc concernés par le mot ; traitons donc, me dis-je alors, des autres dysfonctionnements corporels que tout un chacun est amené à connaître et à subir dans sa chienne d'existence. Je tentai d'en dresser une liste (j'en excluai d'emblée les maladies, catégorie trop populeuse auquel on ne pouvait décemment rattacher notre torticolis), et c'est ainsi que je trouvai faim, soif, nausée, fièvre, fatigue, délire, ivresse mais j'avoue que le nom qui avait ma préférence immédiate était celui de vertige. Pouvant aussi bien désigner une sensation extrêmement désagréable qu'un éblouissement mirifique, ancré aussi bien dans le corporel que dans le spirituel, il me semblait ouvrir des horizons infinis.

L'idée n'a pas encore connu de réalisation concrète, mais cela pourrait bien évoluer prochainement.
En tout cas, elle ne cessait de revenir et j'étais plus que jamais attentif à tout surgissement du mot dans les livres que je dévorais chaque jour. Et ce qui devait arriver arriva : de même que je tiens depuis deux ans les carnets de la Méduse, j'ai ouvert le 24 mars un Cahier des Vertiges (en l'occurrence un long carnet mauve Bensimon for Quo Vadis, pages ivoire finement lignées). Attention, je ne recherche aucunement le mot, rien de plus simple que de le googliser (5 810 000 résultats) mais ça n'aurait pour moi aucun intérêt. J'aime le voir apparaître au détour d'une phrase, comme une girolle dans un tapis de feuilles mortes. La récolte est déjà très belle.

Et parmi les belles pièces, je compte celle qui me fut donnée par l'ouverture de ce grand et magnifique livre des éditions Citadelles et Mazenod sur Nicolas de Staël. Car il y avait dès les premières pages cette superbe photo en noir et blanc de Denise Colomb que j'ai déjà postée ici mais que je me fais un plaisir de redonner :


Cette photo de 1954, montrant le peintre dans son atelier parisien près du Parc Montsouris, avait un titre qui n'était autre que Vertige. Elle était accompagnée d'une parole qu'il adressa au galeriste Jacques Dubourg à Antibes, fin décembre 1954 : "Si le vertige auquel je tiens comme à un attribut de ma qualité virait doucement vers plus de concision, plus de liberté, hors du harcèlement, on aurait un jour plus clair."
L'année suivante, il se donnait la mort.

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